Moebius au sommet
Histoire inventée au fur et à mesure de sa parution en épisodes, délibérément sans canevas, "Le garage hermétique" est une mine au niveau visuel, et le meilleur de ce que peut fournir la BD de SF...
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10 j'aime
Au troisième niveau du Garage hermétique, l'ingénieur Barnier travaille pour le compte de Jerry Cornélius à un modèle révolutionnaire de câbleur qui doit être bientôt lancé dans l'espace. Mais soudain, c'est l'accident et la machine est détruite. Pris de panique à l'idée d'affronter la colère de Cornélius, l'ingénieur Barnier s'enfuit... À bord de son vaisseau, le Major Grubert a vent de l'épisode et décide d'enquêter : il découvre vite que Barnier a déclenché malgré lui une série d'événements qui menace tout notre plan d'existence...
En dépit de ce que peut laisser penser le synopsis ci-dessus, Le Garage hermétique – situé dans l'univers éponyme – reste avant tout une œuvre volontairement humoristique. Car Jean « Mœbius » Giraud utilise en général les ficelles de la science-fiction pour les dimensions cosmiques et métaphysiques que ce genre permet, non pour ses aspects spectaculaires – encore qu'il s'est toujours montré tout à fait capable d'exploiter ces derniers jusqu'à leur moindre goutte, quoique dans un style pour le moins personnel. Or, il se trouve que l'auteur a aussi un sens de l'humour assez original, ce qu'il est le premier à affirmer, et que c'est bien dans ce registre narratif de l'imaginaire qu'il estime pouvoir le mieux distiller ce qu'il trouve drôle...
D'où la structure narrative de cette BD à présent mythique : un scénario qui, sous de nombreux aspects, ne va pas sans évoquer les « cadavres exquis » du mouvement surréaliste, rien que par son allure décousue pour commencer – et pour cause : l'auteur lui-même ignorait où il allait et improvisait chaque nouvel épisode, la plupart du temps en tenant à peine compte des précédents. D'ailleurs, les accents surréalistes eux-mêmes peuvent aussi se montrer assez nets dans Le Garage..., ce qui rend cette œuvre bien assez révélatrice du Mœbius de l'époque – un auteur qui comptait déjà, et depuis un certain temps, bien que dans un registre assez différent de celui-ci, et qui d'une certaine manière signait avec Le Garage... une forme de manifeste. Pour cette raison, on ne s'étonne pas que cette bande soit parue dans le tout aussi mythique mais hélas bien défunt Métal hurlant.
Beaucoup voient dans Le Garage... le chef-d'œuvre de Mœbius, une opinion que je partage – au moins au sens traditionnel du terme, celui qui souligne le passage de l'aspirant au maître, de l'artisan à l'artiste – et pour autant qu'on ne perde pas de vue que l'auteur a également continué à évoluer depuis – un détail qu'on refuse souvent de considérer quand on manie des termes aussi lourds de sens. Car on trouve ici tous les principaux éléments qui constituent la « patte » Mœbius : thèmes et idées mais aussi styles, tant graphiques que narratifs. Bref, c'est comme une anthologie de ce que le Mœbius de la seconde moitié des années 70 avait de mieux à offrir : le résultat de nombreuses expérimentations qui participèrent toutes à faire murir cet auteur en un des plus doués et des plus prolifiques de la BD contemporaine.
Voilà pourquoi Le Garage... reste encore à ce jour une des portes d'entrée les plus indiquées pour apprendre à découvrir l'œuvre protéiforme, et néanmoins encore en mouvement, d'un des artistes majeurs de notre temps qui a très largement contribué à donner ses lettres de noblesse au média BD. À travers ce voyage, vous trouverez l'occasion d'examiner de près une partie non négligeable de ses racines...
Mais c'est aussi l'opportunité de plonger dans un récit sans pareil, où les époques et les lieux se télescopent en un kaléidoscope tout aussi époustouflant que contemplatif et dont la conclusion en surprendra plus d'un.
Elle a bien surpris son propre auteur après tout, alors pourquoi pas vous ?
Note :
Au départ publié dans Métal hurlant en noir et blanc, Le Garage hermétique connut au moins une édition colorisée, qui est celle chroniquée ici. Je laisse volontairement de côté le débat consistant à trancher si cette version colorisée constituait en son temps une aberration ou non, sachant que l'auteur lui avait donné sa bénédiction, pour signaler que les dernières éditions à ce jour de cette œuvre reprennent toutes le noir et blanc original.
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Créée
le 8 mai 2011
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