Russie 1905. 25 000 personnes se massent
devant l’entrée du palais gouvernemental afin de
mettre dehors le gouverneur général de Moscou,
symbole du régime autoritaire qu’exerce le
Tsar. Une maladresse, une incompréhension,
un ordre mal reçu et les militaires tirent sur
les manifestants. 37 morts dont 12 femmes et
3 enfants. Une escalade de violence qui met
deux positions l’une face à l’autre. Le peuple
Russe affamé face à ses dirigeants et notamment
Sergueï Alexandrovitch, le gouverneur. Voici le
point de départ de la nouvelle série en 2 tomes
présentée par Fabien Nury et Thierry Robin.
Deux ans après « La mort de Staline » le duo
de bédéistes continue son exploration d’une
humanité en perte de repères au sein d’une
Russie qui se cherche.
Si le cadre historique sert de prétexte à la
trame de l’intrigue, le scénario de fond est
bien plus important. On vit ainsi l’histoire
d’un homme qui ne devrait pas être là, qui est
coincé dans ses fonctions et qui peine à assumer
ses responsabilités. Homosexuel marié, père
d’enfants qui ne sont, de fait, pas les siens,
détenteur d’un pouvoir dont il ne veut pas,
les auteurs nous présentent un personnage
qui évoque le cinéma des frères Coen. La
thématique, chère aux deux cinéastes, de voir
leurs personnages enfermés dans un carcan dont
ils ne peuvent se défaire est fortement présente
dans cette œuvre. Le gouverneur sent la mort
approcher. Celle-ci, inéluctable, le suit dans
ses gestes, ses regards, ses mouvements. Quoi
qu’il fasse, où qu’il aille le peuple est contre
lui et chaque personne est source de menace.
Ses proches l’abandonnent pendant que la
révolution gronde. Le gouverneur va mourir
et en a pleinement conscience. Face à cette
paranoïa ou s’enchevêtre l’absurde, le tragique
et le comique, les auteurs nous concoctent
une BD puissante, à l’ironie féroce et au désir
de vivre chevillé au corps. La solitude de cet
homme ayant, malgré lui, enclenché son propre
décompte fatal nous est retranscris de manière
limpide et juste. Sans chercher nécessairement
à fuir ou à s’échapper le gouverneur tend à voir
la mort en face et à s’affranchir de ses lâchetés.
Comme si la proximité avec la grande faucheuse
venait tout à coup réveiller la vie chez un être qui
n’aurait décidément jamais dû être là. Solide.
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