Quand un petit bonhomme porte une épopée biblique sur ses frêles épaules

Avec Le Grand Pouvoir du Chninkel (1988), Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski nous livrent une fresque épique où la fantasy rencontre des allusions bibliques, le tout porté par un héros aussi improbable que touchant. C’est un récit qui jongle entre l’humour, la tragédie, et la philosophie, tout en mettant à mal l’idée reçue que les petits ne peuvent pas accomplir de grandes choses. Une aventure où chaque page est un pas de plus vers la découverte du pouvoir… et des responsabilités qui en découlent.

L’histoire suit J’on, un Chninkel – sorte de petit humanoïde exploité et méprisé par tous – à qui une entité cosmique confie la lourde tâche de sauver le monde. Armé d’une mission divine et de son sarcasme bien affûté, J’on traverse un univers impitoyable, peuplé de dieux capricieux, de créatures grotesques, et de conflits sanglants. Ce qui commence comme une quête de rédemption se transforme rapidement en une réflexion sur le pouvoir, la liberté, et les illusions qui les accompagnent.

J’on est un héros attachant par son humanité : il est peureux, râleur, et souvent dépassé par les événements, mais c’est précisément ce qui le rend si crédible. Il incarne une lutte universelle contre l’adversité, tout en se moquant des grands idéaux qu’on lui impose. Autour de lui gravite une galerie de personnages hauts en couleur, mais souvent caricaturaux, ce qui renforce l’impression que J’on est le seul véritablement "réel" dans cet univers démesuré.

Visuellement, Rosinski est en grande forme. Le choix du noir et blanc renforce l’ambiance dramatique et donne à chaque scène une profondeur presque mythologique. Les paysages sont grandioses, les créatures fascinantes, et les scènes de bataille d’une intensité impressionnante. Cependant, la densité des détails peut parfois submerger le lecteur, et certaines cases demandent un véritable effort d’observation pour en saisir toute la richesse.

Narrativement, Van Hamme joue avec des thèmes universels : le sacrifice, la lutte contre l’oppression, et le fardeau des élus. Le récit est captivant, mais il peut aussi sembler un peu lourd dans son symbolisme parfois appuyé. Les références bibliques, bien que brillamment intégrées, risquent d’échapper à ceux qui ne sont pas familiers avec ces textes ou de paraître trop explicites pour ceux qui le sont.

Le rythme, bien qu’efficace, souffre de quelques longueurs dans les passages les plus introspectifs ou explicatifs. Cependant, ces moments sont souvent contrebalancés par des scènes d’action spectaculaires ou des dialogues mordants qui maintiennent l’intérêt du lecteur.

En résumé, Le Grand Pouvoir du Chninkel est une œuvre ambitieuse qui parvient à marier la grandeur épique à une réflexion plus intime sur le pouvoir et l’humanité. Van Hamme et Rosinski créent un univers riche et captivant, porté par un héros atypique qui réussit à tenir tête à des forces bien plus grandes que lui. Une lecture marquante, où le frisson de l’aventure rencontre le poids de la réflexion, même si parfois l’ensemble semble un peu écrasé par son propre sérieux. Une épopée qui, comme J’on, prouve que la grandeur peut naître des plus petites créatures.