Après les cousins Dalton, Morris et Goscinny reprennent à leur sauce un autre personnage atypique de la légende western, à savoir le juge (et barmen) Roy Bean, le seul faisant respecter une loi bien à lui à l'Ouest de la rivière Pecos au Texas.
En commençant par la conclusion, cet album est une vraie réussite à tous les niveaux et les motifs de satisfactions sont nombreux : le récit est à la fois riche en enseignement sur "le processus civilisationnel" que connait la conquête de l'Ouest tout en laissant une part importante d'humour burlesque. Morris nous dépeint un album d'une très grande qualité graphique, caractéristique de son trait. Bref Morris et Goscinny ça commence à fonctionner du tonnerre et cela va durer...
Si l'on essaie de creuser un peu les trésors de cet album, quelques éléments peuvent être soulignés avec notamment une belle invitation à la réflexion sur la notion de Justice au sens large. Sur le par qui et pour qui les lois sont rédigées, sur quel fondement, sur comment la faire respecter, sur la proportionnalité de la peine...les pages défilent et le lecteur est positivement assailli d'un questionnement qui le poursuit.
Au départ le territoire à l'Ouest du Pecos est présenté comme sans lois (occidentales) écrites et vu que la nature à horreur du vide, le vieux Juge Roy Bean occupe cet espace en rédigeant des lois puis en les faisant appliquer. Une belle fusion du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire en somme. Avec la légitimité que lui procure le code civil (pas maitrisé pour un sous mais au royaume des aveugles les borgnes sont rois et vu que tout le monde est illettré...), il s'emploie à condamner toute sorte de délit à son strict avantage personnel. Jacinto son assistant mexicain est un bel exemple malheureux d'une personne dominée qui n'a pas les armes pour lutter voire se rebeller.
D'une absence de lois à une loi partiale, voila que vient l'excès de lois avec l'arrivée d'un second juge Bad Ticket...bref tout ceci forme un joyeux bordel jouissif riche en situations cocasses, comme ce croque-mort ne jurant que pour la pendaison (même quand il sera accusé!) ou encore le jugement final de Roy Bean...par lui même, magique.
Lucky Luke est masterclass, toujours sur une ligne de crête entre la défiance, l'entente, la collaboration intéressée.
Un excellent album sans les Dalton, Rantanplan, quasiment sans Jolly Jumper qui n'apparait que sur quelques cases, qui pêche un poil par un milieu de récit un peu moins dense.
Pour finir, la couverture est sublime et l'album qui suivra, Ruée sur l'Oklahoma, est tout aussi bien...