Le Loup des mers par jerome60
Ce ne devait être qu’une formalité pour le critique littéraire Humphrey Van Weyden. La traversée de la baie de San Francisco, il l’effectuait chaque samedi pour rejoindre un ami. Seulement ce jour-là le brouillard était plus épais que d’habitude et lorsque son ferry fut harponné par un autre bateau, la panique s’empara des passagers. Sautant dans l’eau glacée, Humphrey se réveilla à bord d’une goélette en route vers les cotes japonaises pour chasser le phoque. Embarqué malgré lui dans cette campagne de chasse, le critique littéraire découvre le terrible capitaine Loup Larsen, sorte de monstre à la force herculéenne et à l’incroyable érudition qui impose sa loi à chacun de ses marins par la violence et l’esprit.
Librement adapté du roman de Jack London, cet album met en scène la confrontation philosophique entre le principe du surhomme selon Nietzsche et la théorie de l’évolution de Darwin. Loup Larsen représente l’homme instruit et guerrier qui, depuis la nuit des temps, doit dominer le monde pour survivre alors que Van Weyden est une figure beaucoup plus « morale » qui préfère s’adapter à son environnement et agir avec intégrité. Le récit est donc traversé par un véritable questionnement métaphysique magnifié par le huis-clos étouffant imposé à la fois par l’espace confiné du bateau et le déchaînement des éléments naturels. Riff Reb’s a choisi de réinterpréter la fin de l’histoire. Chez London, Van Weyden, grâce à sa capacité d’adaptation, parvient à vaincre le surhomme incapable d’évoluer. Le dessinateur propose une vision beaucoup plus pessimiste, renvoyant dos à dos les deux protagonistes en considérant que la modernité du critique littéraire n’est pas un gage de survivance. Un parti-pris que je trouve plus intéressant et beaucoup moins simpliste que la vision de London.
Graphiquement, le trait est d’une rare puissance. Toujours aussi à l’aise pour croquer des gueules un peu « cradingues », Riff Reb’s fait des marins de la goélette une bande de durs à cuir aux faux airs de pirates et son capitaine, force de la nature au physique de sculpture antique, est tout bonnement impressionnant. Ses représentations de la mer déchaînée sont elles aussi en tous points sublimes. Niveau couleur, chaque chapitre est décliné dans une nuance différente, comme si l’on avait apposé devant les planches en noir et blanc un filtre d’une seule et unique teinte (jaune, bleu, vert, orange, rouge ou rose). C’est spécial mais assez bluffant.
Entendons-nous : derrière les questionnements métaphysiques, il ne faut pas perdre de vue que cet album est avant tout une épopée maritime à l’ancienne. De quoi régaler à la fois les philosophes et les amateurs d’aventure avec un grand A.