C'est la lutte finale (du moins nous l'espérons)
J'aime bien les adaptations bizarres, décalées, inadaptées. Mais là je m'interroge quand même sur l'intérêt d'adapter sous forme de manga de 200 pages un texte qui doit en faire une cinquantaine à l'origine.
Surtout que bon, le texte de Marx est un essai, et là on a droit à un récit. Les auteurs (dont le nom n'est mentionné nulle part puisqu'il s'agit d'un collectif), déjà responsables de l'adaptation narrative du Capital du même barbu allemand, récidivent en mettant en manga un autre classique de la littérature communiste. J'espère voir débarquer ensuite une adaptation du Petit Livre Rouge.
L'histoire est assez basique (en plus d'utiliser un style visuel assez dépassé, mais impossible de trouver la date de publication originale au Japon quelque part, donc si ça se trouve ça date de 1973): de gentils ouvriers qui se révoltent contre de méchants bourgeois. D'accord, le texte de Marx en lui-même oppose le prolétariat à la bourgeoisie, mais là c'est quand même de la simplification à l'extrême (et on a encore droit à l'association classique "prolétariat = ouvriers"). Les personnages sont des clichés ambulants (le héros vide de toute substance, la brute au grand coeur, la brute débile, le philosophe romantique, le gros bourgeois moustachu et j'en passe), à l'exception d'un personnage assez étonnant, un type à la face de renard (le parfait kitsune, avec le sourire enjôleur, les yeux bridés et les oreilles pointues), censé être un agent communiste oeuvrant pour le bien du prolétariat en jouant les espions parmi la bourgeoisie. Le plus étrange est qu'il est exactement ce qu'il prétend être. Ce manga fait définitivement tout de travers.
Au milieu de ce récit passionnant, on voit débarquer de temps en temps Marx et Engels, qui dissertent sur le communisme en apportant des précisions sur sa philosophie (généralement des citations directement extraites du Manifeste d'origine). La caution didactique en somme. J'aurais préféré que le manga zappe complètement cette révolte ouvrière plastico-hugolienne pour se concentrer sur Marx et Engels. En les mettant en scène dans la rue, dans le métro, ou sous la douche (qui n'a jamais rêvé de yaoi Marx x Engels), par exemple.
Le manga se compose de trois parties, qui reprennent les titres des chapitres 1, 2 et 4 du Manifeste de Marx. Le chapitre 3 (celui où il décrit les diverses tendances socialo-communistes de son temps) est à peine évoqué le temps de deux-trois cases. Volonté d'actualiser le propos, j'imagine. Sauf qu'il y avait là-dedans bien plus de matière à un récit intéressant que le conflit en carton qui nous est présenté.
Bref vous l'aurez compris, mis à part pour voir Marx s'auto-citer en haut d'une usine, ce manga n'a que peu d'intérêt. Il aurait pu être drôle, mais il lui manque quelque chose pour accéder au statut de nanar. Si l'histoire des idées communistes vous intéresse, allez plutôt lire le texte original de Marx (qui lui, en plus, se paie le luxe d'être parfois drôle).