Critique de Le Marais par nolhane
Le Marais est, dans l'ordre chronologique, le premier volume de l'anthologie de Yoshiharu Tsuge. Il est sortie après « Les Fleurs Pourpre » et « La Vis » chez Cornelius car ces...
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le 25 juin 2020
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Yoshiharu Tsuge est l’un des artistes les plus importants dans l’histoire du manga, celui qui a littéralement inventé le récit autobiographique, et donc apporté une pierre essentielle à la construction d’un art adulte, en y injectant en outre une bonne dose d’ésotérisme. Pourtant, nous n’avons eu longtemps en France, accès qu’à son "Homme sans Talent", certes un chef d’œuvre, sorte de minuscule partie immergée d’un iceberg colossal. Les Editions Cornelius, dont on ne peut que louer l’impressionnant travail réalisé pour nous apporter une meilleure connaissance de cet forme artistique majeure qu’est la Bande Dessinée japonaise, ont entrepris de publier en France une majeure partie de l'oeuvre de Tsuge.
Le Marais est une compilation des travaux réalisés par Tsuge entre 1965 et 1966 (classés par ordre chronologique de première parution…), une période difficile dans la vie du mangaka, mais également clé dans la construction de son œuvre : la disparition du système de « librairies de prêt » pour lesquelles il travaillait jusque-là avec succès, l’a conduit à la misère et à une tentative de suicide, mais l’obligation qui en résulta de se réinventer. Il collaborera à la revue Garo, qui lui permettra d’expérimenter de nouvelles approches du manga au niveau de ses sujets (réalistes, adultes, voire même provocateurs par rapport au conformisme profond de la société japonaise de l’époque, comme la sexualité ou les rôles de l’homme et de la femme), mais il travaillera aussi comme simple apprenti chez le maître Mizuki, ce qui l’obligera, en opérant à l’intérieur de codes prédéterminés du manga, de raffiner aussi bien sa narration que la mise en image de ses histoires. Tout cela est d’ailleurs bien expliqué dans une remarquable postface de Léopold Dahan, qui offre de nombreuses clés au lecteur qui aura pu être désorienté par la lecture des 11 différents récits composant le livre…
… car désorientantes, ces œuvres de Tsuge le sont : certaines par leur audace radicale, toujours aussi étonnante en 2020 qu’il y a plus de cinquante ans, d’autres au contraire, par le respect appliqué de Tsuge de formes culturelles qui nous sont, logiquement, étrangères. Sur le versant « radical », la lecture du "Marais", de la "Chasse au Champignon" ou de "Tchiko", trois « nouvelles » qui avaient d’ailleurs à l’époque de leur parution, été violemment rejetées par le public japonais, reste une vraie « expérience » pour le lecteur contemporain, et suffisent à confirmer combien Tsuge est un véritable artiste, pour ne pas utiliser le terme galvaudé de génie… Sur le versant « fossé culturel », on sera forcément impressionnés par le récit de la vengeance, plat se mangeant très froid, de la "Femme Ninja", ou déstabilisé par les codes sociaux qui régissent l’épopée émotionnelle que devient l’achat d’un livre dans la "Fille du Bouquiniste"…
Il y a dans "le Marais" une telle diversité de registres, et une telle richesse, qu’il est impossible d’aimer (ou de détester) tous les récits qui le composent, mais chacun y trouvera sans aucun doute du grain à moudre, mais aussi de véritables coups de cœur qui lui donneront sans aucun doute envie de poursuivre la découverte de l’œuvre de Yoshiharu Tsuge.
(Un seul minuscule reproche à faire à cet ouvrage indispensable : la typographie « mécanique » des textes en français, pas très esthétique, et qui nous prive sans doute un peu de la charge intime liée à l’habituelle calligraphie…).
[Critique écrite en 2020]
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Créée
le 3 mai 2020
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