Incontournable BD ado Août 2023
Hey, un ovni parmi les BDs! Est-ce une parodie de l'univers des contes de fées? Est-ce un coup de pied dans les stéréotypes? Pour citer une humoristique belge: "Oui et non. Oui et non. Enfin, plus oui que non. J'vous explique..."
Oui, expliquez moi ce drôle d'objet qui a le culot de nous remplacer les mots dans les bulles par des pictogrammes, un peu? Et de se foutre de la tronche d'une pauvre princesse qui se cherchait un prince? Et de mettre des décors de villes en arrière d'un avant plan de conte? Et de faire voler la vedette à un prince par "un gars ordinaire" qui fait pipi au lit et qui n'est pas foutu de suivre un plan comme il faut?
Le monde de Pickto me fait penser à un gâteau de lune: On reconnait que c'est un gâteau, mais on est loin de se douter en mordant dedans que ça goûte l'arachide et que ça a la texture d'une pâte à biscuit crue! Pas mauvais, en passant!
Donc, il y a de la nouveauté, mais il y a aussi du très connu. Dans la nouveauté, je pense que nous pouvons raisonnablement décerner aux pictogrammes en remplacement des mots la médaille d'or! C'est tellement chouette! Ça change complètement le travail du cerveau, puisque nous devons semi-deviner ou du moins reconnaitre ce qui apparait dans chaque bulle. Certaines sont plus subtiles que d'autres. De plus, j'adore que certaines soient les leviers d'une sorte d'humour imagé. Je pense notamment aux bûches sciées dans le sommeil, qui finissent par scier dans les bulles des autres ou réveiller le prince une fois que l'une d'elle scie la bûche en deux ( logique, elle se scie pas dans le beurre, il faut bien qu'elle achève son travail un jour cette scie!) Bref! C'est difficile de décrire les jeux d'humour des pictogrammes, mais il y en a. Vous trouverez aussi certains pictogrammes hors-bulle, notamment dans les panneaux, dont certains s'inspirent librement de nos panneaux routiers. Il y a de l'humour à faire là aussi.
Ces pictogrammes offrent un effet de lecture très rafraichissant et surtout différent. Une belle façon d'illustrer comment la Bd peut être aussi créative et audacieuse que les romans, par ailleurs ( Sinon plus, car on a le volet visuel!).
Côté histoire, c'est là qu'on nage en terrain semi-connu. Si l'univers des contes et de ses codes rigides, voir stupides parfois, sont présents, c'est pour les remanier et les maltraiter. Nous avons bien sur notre anti-héro, Pickto, simple paysan attablé dans une taverne, qui va rencontrer un prince dans cette même taverne. Le prince entame une bière, raconte qu'il va chevaucher vers un château pour y trouver la princesse de sa vie, se marier, puis procréer, comme le veut la bonne vieille ( et chiante) tradition. C'est alors que Pickto, rusé, se dit qu'il la prendrait bien cette princesse, en fait. Il va donc faire picoler le prince jusqu'à ce qu'il soit saoul et s'endorme debout en allant faire pipi contre un arbre, dehors. Délesté de sa cape, de sa couronne et de son fidèle destrier, il laisse au prince son modeste chapeau et file sur les routes vers le château. Sur la route, il va connaitre moult péripéties, illustrant à quel point , finalement, il y a peut-être une raison derrière le fait que ce sont des princes qui ont ce job, parce que c'est pas facile. Néanmoins, notre bras-cassé va finir par atteindre le château et si la suite promet d'être mémorable, c'est que toute une série de circonstances loufoques vont faire dériver le scénario là où on est plus trop sur de pouvoir deviner la suite.
Attention, divulgâches à partir d'ici.
On est loin de s'en douter, quoique, c'est tout-de-même cohérent quand on y pense, mais la princesse, elle ne dort PAS. Je vous rappelle que ça peut-être très long de vivre dans un château, en solitaire, attendant qu'un homme veuille bien venir vous chercher. On la regarde, cette pauvre demoiselle, bien ancrée dans sa certitude qu'un prince viendra un jour ( quel rôle déplaisant que celui de la princesse!), mais en attendant, elle vit sa vie dans son château: nourrit des plantes, se balade dans les corridors et entretient même une certaine "amitié" avec le dragon supposé vaincre le prince. Ce dernier aime bien faire la fête, garde le contact avec la princesse via son cellulaire et lui aussi, mène sa vie comme l'extraverti tranquille qu'il est. Son "combat" avec le malheureux non-prince, qui se retrouve en grillade accidentelle, s'achève en commode arrangement de sa part, de sorte que Pickto le vainc de la manière la plus anticonformiste que j'ai jamais vue. Quand Pickto arrive avec son destrier, comme on le voit sur la couverture, notre pauvre demoiselle ne sait pas quelle déception l'attends. Après un long rituel de "beauté" et trois-quatre fioles de poussières jetées sur son lit pour le vieillir plus tard, la voilà étendue en attendant son baiser. Après avoir forcé Pickto a se doucher avant de finalement consommer leur "grand amour", ce dernier s'endort dans les draps de satin en y soulageant malencontreusement sa vessie.
Seulement, le prince arrive! Juchée sur sa tête de pioche de monture d'âne, il fait met un temps fou à parvenir au château puisque Pickto a changé un de panneaux de route de sens. Une ruse inutile car il ne fera pas long feu au château ( un portrait très ressemblant au château de Bavière Neuschwanstein). Il s'avère que Pickto a le nez qui s'allonge quand il ment. Et à la longueur de Cap & Péninsule qu'il a , visiblement, il a pas mal menti notre Pickto! Démasqué par les amis de ce qui ressemble à Blanche-Neige ( version Disney) , Pickto est relégué à son statut initial et la princesse est en larmes. Pickto est chassé et retourne en ville, où il trouvera le prince, qui va récupérer ses effets personnels, après une fuite rocambolesque tout aussi pathétique que son périple. Alors que le prince a mandolliné son nez en cinq morceaux, une fée qui ne se mêle absolument pas de ses oignons trouve pertinent de lui créer cinq rejetons à partir de ces cinq petits bâtons. Le voilà cinq fois papa! Alors que Pickto est affairé à traite des vaches pour nourrir ses quintuplets affamés, le prince part en quête de sa bien aimée. La princesse, fâchée contre les hommes, rappelle le dragon pour faire éliminer le prochain prince, mais il se fait catapulté vers d'autres cieux d'un bon coup de sabot d'âne effrayé. Quand, enfin! le prince parvient dans le château, son premier réflexe n'est pas d'embrasser la princesse ( qui a fini par s'endormir à force d'attendre, je comprend ça), il sort de sa besace une chaussure solitaire. Et...Et ce n'est pas la bonne princesse! Délaissée pour une deuxième fois en peu de temps, la princesse redevient une véritable fontaine de misère, qui trouve encore une fois la consolation de la princesse Blanche-Neige. Et puis, c'est la révélation: Hey, elle a déjà quelqu'un se de super dans sa vie, en fin de compte! La princesse décide donc d'épouser sa meilleure amie. Dans l'entrefaite, le prince trouve une grenouille dans la forêt ( la même que nous avons vu au début et que Pikto a dédaignée d'un coup de botte, c'est pas gentil) et en l'embarrassant ( oui, c'est connu les grenouilles maudites) devient...une grenouille lui-même. Les deux princes grenouilles vont donc couler des jours heureux dans leur mare, alors que Pickto se découvre une fibre paternelle réelle et que nos deux princesses se marient en grande pompe. Et la chaussure solitaire dans tout ça? Elle finit dans la mare, se promène un peu et finit par retourner à sa propriétaire...qui n'est PAS une princesse, à en juger par son chapeau pointu et ses bas rayés.
C'est drôle, mais maintenant que j'écris ses lignes, je pense qu'il s'agit de la "Sorcière de l'Est" , cette antagoniste de l'univers du Magicien d'Oz aplatie par la maison de Dorothé. Elle avait des souliers magiques.
Les références aux contes et aux classiques de la littérature jeunesse sont bien présents, mais il faut bien sur les connaitre. La princesse et la grenouille, Pinocchio, La Belle au bois dormant, Blanche-Neige sont au nombre du lot, mais j'ai vu aussi des symboles qui n'ont aucun rapport, genre les Beatles, qui se promènent sur une traversé pour piétons.
Comme on le voit dans mon "résumé" ( bon, ok, plutôt un "récapitulatif exhaustif) , on a des thèmes un peu "olé-olé" avec une beuverie, une petite scène coquine, pleins de blague de pipi et même un prince ouvert à un "trip à trois". Je pense que ça conviendra plus aux ados, surtout qu'ils vont sans doute mieux les comprendre que nos plus jeunes.
C'est globalement drôle, ça bouscule les stéréotypes, mais ça ne les réinvente pas vraiment non plus. Ça me semble plus parodique qu'autre chose. Cela dit, la création et le traitement des décors sont intéressants. Le dragon était mon personnage préféré. Il avait l'air du coloc de veille date de la princesse, ce qu'il est , d'une certaine manière. Cette dernière a malheureusement un rôle pénible, c'est la fille pas très maligne qui ne vit que pour le jour où elle aura son prince. Je pense que ça aurait été plus intéressant de lui donner un rôle beaucoup plus décalé et audacieux.
Sinon, graphiquement, on a une palette de couleurs homogènes dans les tons bleu, jaune, noir et blanc. Le clair-obscure repose sur l'emploi de ces couleurs. Les paysages sont beaux et il existe différentes interactions entre les personnages et les cases, alors que d'autres vont directement faire interagir des pictogrammes avec le décor. C'est très dynamique et ça vaut la peine de prendre son temps pour la lire, cette BD, pour admirer le tout.
Il y a de très bonnes idées de jeux et d'interactions, toute sorte de folleries et des péripéties rigolotes. Je pense qu'on aurait pu forcer un peu plus sur la complexité des personnages, on semble être resté plutôt campés sur de vilains stéréotypes de genre malgré tout ( et malgré le détournement des orientations sexuelles des personnages). Mais l'idée des pictogrammes est originale, ça mérite d'être employé à nouveau, peut-être avec plus de sophistication dans le traitement de l'humour et de l'évolution des personnages.
Juste pour le style déjanté et les pictos, ça vaut le détours. De quoi changer nos perceptions faces à la BD.
Pour un lectorat adolescent et plus, 12 ans+