Comparer les mangas de Satoshi Kon à ses compositions animées, car je n’allais pas faire l’impasse sur le contraste séparant les deux registres, revient à nous assurer que, oui, décidément, l’auteur s’accomplit davantage sur pellicules que sur papier. Écrire cela, ce n’est pas adresser un reproche. Satoshi Kon a marqué à la fois l’animation et même le paysage cinématographique mondial par ses œuvres. Ses mangas en revanche, ne se destineront jamais à la postérité. Il apparaît d’ailleurs probant que ceux-ci ont été écrits et dessinés pour être convenables plutôt que grandiose. Chacun, après tout, n’est pas tenu de donner ses tripes chaque fois qu’il s’abandonne à la création. Il n’empêche.

Il n’empêche que, sur son nom, Satoshi Kon porte des espérances. On ne peut pas s’empêcher d’en attendre énormément d’un homme dont le talent est apparu au cinéma comme aussi criant qu’étincelant.


Tout chez lui, du reste, évoque Katsuhiro Otomo. Les deux hommes ont d’abord cela en commun que leurs compositions cinématographiques outrepasseront leurs accomplissements sur papier. Cela, non sans compter qu’ils auront même collaboré au cinéma, notamment dans l’élaboration du somptueux et époustouflant Memories.

Il y a ça, et il y a aussi le dessin. Les graphismes des personnages, d’un auteur à l’autre, sont très franchement similaires. On distingue bien sûr le style de l’un et de l’autre, mais on ne peut pas s’empêcher d’être happé à la lecture par la parenté commune. Satoshi Kon, pour sa part, plus sage et posé, ne partira pas dans les déballages psycho-tech et les esquisses superbes que supposera le genre. Son dessin, il ne l’attribue qu’à la quiétude. Le dessin est en effet plus léger, moins gêné aux entournures par quelques profusions de détails que ce soit. Il faut dire que Le Pacte de la Mer, au regard de son script, ne s’y prête pas vraiment.


Ce script, enrobé d’un cadre narratif très carré, nous conte les événements d’une petite ville de bord de mer dans laquelle un élément surnaturel planant s’étendra le long d’un tome. L’atmosphère qui s’en dégage, le traitement qui sera fait des personnages, l’élément fantastique en toile de fond, tout cela m’aura rappelé Tanabata no Kuni. Il ne fait nul doute que Hitoshi Iwaaki se soit un jour arrimé à ce qu’élabora ici Satoshi Kon.


Puis, bien assez tôt – l’œuvre ne dure qu’un volume – des antagonistes venus « moderniser » le village surviennent, détruisant les sites sacrés, avec à leur tête un promoteur à costume criant, lunettes de soleil et yacht.

Est-ce qu’il pourrait aussi violer un bébé phoque ? Histoire qu’on soit bien sûrs qu’il s’agisse du méchant.


Il y a aussi du Miyazaki là-dedans. L’ordre naturel, sain et pur, opposé à l’hubris des hommes qui vont jusqu’à défier des divinités par avarice. Ça reste bien fait, mais ça reste surfait à force qu’on nous réchauffe sans cesse le même plat.

Car le récit, disons-le, est transparent. À compter du premier chapitre, on devine absolument tout de ce qui en découlera. Le serment fait à la sirène ne sera plus respecté, les Hommes préféreront les richesses à leur engagement sacré, une malédiction s’ensuivra, mais, grâce au cœur pur d’un jeune garçon – qui se trouvera incidemment être le protagoniste – tout reviendra à la normale. Je l’ai lue mille fois, cette histoire. Vous aussi.


La thèse avancée a beau me séduire, étant moi-même très rétif à ce qu’on nous présente comme le progrès, prométhéiste en diable et toujours accompagné de sa cohorte de nouveaux problèmes ; le traitement du sujet a beau être accompli minutieusement, sans céder à aucun artifice scénographique tapageur, filant le récit tout en maîtrise et en retenue, foncièrement… on s’emmerde à lire une histoire dont on connaît tout à l’avance. Tous les écueils du genre adviennent dans l’ordre, jusqu’au méchant qui veut utiliser l’œuf de la sirène pour s’accaparer, la richesse et la gloire.


Ça se finit parce que ça doit se finir, parce que l’auteur a tout dit de son œuvre, et ce fut bien peu de choses en réalité. Il n’y a pas grand-chose à essorer d’une histoire pareille.

Ce que j’ai lu, à terme, m’a alors rappelé un Domu en beaucoup moins impressionnant graphiquement ; c’est-à-dire une expérimentation – comme cela fut aussi mon sentiment après ma lecture d’Opus par ailleurs – plus que ça n’était une œuvre à part entière. Le récit n’était apparemment que prétexte au dessin ; quoi que dans des propension bien moindre qu’avec Domu. Le plat servi est alors si réchauffé qu’il en est fade. On ne le déteste pas, non, mais on ne lui trouve rien. Sans rythme, sans occasion d’approfondir et de développer qui ou quoi que ce soit, Le Pacte de la Mer nous ruisselle entre les doigts même lorsque l’on cherche à s’en saisir avec force. Le manga a été écrit et dessiné pour être correct. L’objectif est atteint, c’est entendu, mais on pourra aisément reprocher à son auteur d’avoir eu si peu d’ambition considérant ce qu’il avait de talent.

Josselin-B
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Josselin Bigaut

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