Avec ce héros crée en 1966 dans le journal Tintin, François Craenhals pouvait rivaliser avec le Prince Valiant d'outre-Atlantique. En Europe, les bandes médiévales réalistes étaient moins nombreuses à l'époque qu'elles ne le sont aujourd'hui, sauf dans les petits formats.
Craenhals lance Ardent du Walburge dans ce premier épisode, où il est un "damné fol", un jouvanceau ayant tous les défauts de l'adolescence : effronté, audacieux, obstiné et orgueilleux, des travers qui se heurtent à l'écuyer Bradroc qui lui inflige une sévère humiliation. Les personnages évoluent dans un Moyen Age de Table Ronde assez fantaisiste qui est en fait un mélange d'époques, puisque le dessin du château du roi Arthus en page 33 ressemble à la Cité de Carcassonne et approximativement à une architecture du XIIIème siècle, et d'après les costumes, on serait dans une époque charnière entre la fin du XIIème et le début du XIIIème siècle.
On y voit déjà la douce Gwendoline qui sera le grand amour d'Ardent, ceux qui deviendront ses fidèles amis Gaudin et Bradroc, et Arthus, ce roi tout puissant, adepte des combines politiques ambiguës. Mais surtout, Ardent se heurte à un méchant de taille avec le Prince Noir. Les personnages sont bien définis dès ce premier album qui met tout le décorum et l'univers en place, et Craenhals bouscule un peu les cadrages en vigueur chez le journal Tintin par de belles images, et un duel final percutant en double page, grâce à un dessin dynamique et vigoureux. En relisant cet album, je mesure combien son dessin a trouvé une grande maîtrise, alors qu'il dessinait juste avant dans Tintin les aventures de Pom et Teddy, une bande plus familiale on va dire...
Au contraire des autres BD médiévales qui sont apparues après ou qu'on trouve de nos jours et qui se doivent de respecter une vérité historique, telles Jhen, Vasco ou les Aigles décapitées et plus encore le Trône d'argile qui elle joue carrément sur les faits historiques, Chevalier Ardent évolue étrangement dans un Moyen Age totalement fictif, sans aucune référence à des événements réels, et aucun personnage historique n'y joue un rôle ; le Prince Noir évoqué ici n'est pas le grand prince anglais fils d'Edouard III que l'on connaît, mais un seigneur félon imaginaire. Seuls le contexte d'époque, les décors et les costumes empruntent à l'époque médiévale.
Malgré cette particularité qu'il faut accepter avant de se lancer dans cette série, c'est une des plus belles réussites du genre qui explore une chevalerie pleine de loyauté, de vertus mais aussi de cruauté. Chaque épisode sera indépendant des autres, mais il y aura une continuité, on verra les personnages évoluer, Ardent mûrir et devenir un riche seigneur, on verra ses amours contrariées avec Gwendoline, et peu à peu, la série basculera curieusement dans le fantastique. Ici, on est encore dans un pur récit moyenageux, sans apport fantastique, l'intrigue est passionnante, le dessin nerveux et séduisant, c'est l'un des meilleurs albums avec les 2 qui suivront, les Loups de Rougecogne, et la Loi de la steppe, j'en suis aussitôt tombé fan vers l'âge de 7-8 ans, c'est peut-être la BD qui a contribué à conditionner ma passion pour le Moyen Age.