Pour situer le niveau, ce qu’il y a de plus stupide dans le Processus, ce sont certains jeux de mots : un panneau dans un hall qui indique une « entrée Breton » (pl. 16), une histoire de bourse des valeurs dans laquelle les valeurs sont la volonté, la mansuétude, la franchise, etc. (p. 14). Ce troisième volume, à l’image des deux premiers, pue l’intelligence à plein nez. Or, l’intelligence ne suffit pas plus en bande dessinée que dans la vie. Mais le Processus est aussi un excellent album.
Son motif récurrent, la spirale, apparaît dès les premières pages. Je surinterprète peut-être si je parle de la spirale comme le symbole de l’infini, mais aussi comme celui du père Ubu. (Il y a quelque chose d’ubuesque, au sens courant du terme, dans l’univers de Julius Corentin Acquefacques.) En tout cas, le motif ouvre le récit, constitue la quête du personnage – sans qu’il en ait formellement conscience – et marque la fin de l’album.
Qui n’est pas la fin du récit. Le récit n’a pas de fin. Ce n’est pas un hasard si les planches 6-7 se retrouvent aux planches 44-45. (Dans les deux premiers volumes déjà, on trouvait des jeux d’échos entre planches.) Le Processus est absolument cyclique. Comme une spirale qu’on fait tourner, c’est ça.
Du reste, si le motif de la spirale n’est pas propre à Borges, à qui Marc-Antoine Mathieu emprunte beaucoup, dans cet album comme dans les autres, c’est lui qui donne sa forme à la bibliothèque de Babel (d’ailleurs le nom de Borges se lit sur un des rayonnages) des planches 29 à 32, dont le « service cartographique » des rêves semble n’être qu’une section.
Car parallèlement – façon de parler ! –, l’album continue à explorer le thème du rêve qui donne sa trame générale à la série. On y trouve (pl. 17) une usine, dont « la principale fonction […] était de confectionner du rêve, cela pour combattre le stress et la frustration, causes de nombreux maux de la cité (absentéisme sur les lieux de travail, agressivité… »
Mais il y a dans le Processus, qui reste lisible comme une variation sur le mythe de Sisyphe, une critique plus ouvertement sociale, légère, mais distincte de la mise en scène de la condition de l’homme qui caractérise l’univers acquefacquien (donc kafkaïen). (J’en parle un peu dans ma critique de l’Origine.) L’idée d’un univers qui se présente, littéralement, comme une fabrique à rêves, est exploitée dans bien d’autres fictions, mais l’auteur y ajoute ici la notion de rêves contrôlés, façon du pain et des jeux, beaucoup plus intelligemment que le ferait un croisement entre, mettons, Inception et Minority Report.
Il y a tout ça dans le Processus – qui n’a pourtant rien d’un pensum –, et encore d’autres choses, pour situer le niveau.