"Le rose vous va si bien" commence à la manière d’un classique de la littérature anglaise du XIXème siècle. On a l’impression d’être dans un livre de Jane Austen ou des soeurs Brontë. L’action se situe dans le comté du Lancashire, durant l’hiver 1853. Alors qu’il vente et qu’il neige, la jeune et gracieuse orpheline Mathilda débarque dans la grande allée lugubre et glaciale du manoir de Lockwood. Elle est terrifiée. Mais elle poursuit quand même jusqu’à la porte, car elle est venue pour la place de gouvernante. Au château, on lui demande de s’occuper de Sarah, une abominable petite peste. Celle-ci est la fille du comte Edward de Kenston, le propriétaire des lieux. Un homme charmant, dont Mathilda tombe immédiatement amoureuse. Et vice versa. Voilà qui n’est pas du tout du goût de William de Kenston, le frère jumeau d’Edward, qui reste particulièrement fâché contre le destin d’être né 30 secondes plus tard que son frangin. Il est bien déterminé à réparer cette cruelle injustice, en éclipsant au plus vite son jumeau. Pour ne rien arranger, William n’est pas insensible au charme de la jeune Mathilda… Jusque-là, cela ressemble à un drame romantique assez prévisible. Si ce n’est que dès la quatrième page du livre, un petit chien appelé Twi-Twi surgit de nulle part et sème le chaos dans le manoir de Lockwood, suivi bientôt par sa maîtresse, une drôle de vieille dame habillée tout en rose. Celle-ci disparaît aussitôt, avant de réapparaître tout aussi subitement quelques pages plus tard, toujours précédée d’une sorte de halo rose. Cette dame exaltée, c’est Carlota Bartland, la papesse du roman à l’eau de rose. Du coup, elle fait ce qu’elle veut de son récit, puisqu’elle en est l’auteure. Non seulement Carlota se permet d’entrer et sortir régulièrement dans son roman d’amour, ce qui perturbe évidemment les personnages, mais en plus elle a une fâcheuse tendance à perdre régulièrement le fil de son histoire. Sans compter qu’elle prend un malin plaisir à placer la pauvre Mathilda dans les situations les plus délicates. Pas sûr, du coup, que la pauvre orpheline parviendra un jour à vivre une grande histoire d’amour avec le comte Edward de Kenston…
Mais quelle belle surprise! Avec "Le rose vous va si bien", la scénariste Véronique Grisseaux et la dessinatrice Eva Rollin rendent un hommage tout à fait inattendu à Barbara Cartland, qu’elles considèrent comme une sorte de Lady Gaga de l’écriture. Il faut dire que, comme Carlota dans la BD, la vraie Barbara Cartland avait la manie de s’habiller toujours en rose, tandis qu’elle a compté jusqu’à 6 secrétaires personnels à qui elle dictait ses romans. Et bien sûr, elle ne se séparait jamais de son fidèle pékinois Twi-Twi. Jusque-là, la BD s’appuie sur des faits plus ou moins réels. Pour le reste, "Le rose vous va si bien" n’est évidemment en rien une véritable biographie de l’auteure britannique. Il s’agit plutôt d’un pastiche jubilatoire, dans lequel Véronique Grisseaux utilise à merveille le principe de la mise en abyme. Comme dans le film "Le Magnifique", dans lequel Jean-Paul Belmondo joue à la fois un petit auteur de romans policiers et le héros flamboyant de ses livres, Carlota Bartland est dans le même temps la créatrice de l’histoire de Mathilda et des frères Kenston et l’un des personnages de cette histoire, ce qui donne évidemment lieu à des quiproquos et des anachronismes particulièrement cocasses. Bien servi par le trait nerveux et énergique d’Eva Rollin, "Le rose vous va si bien" est un récit à la fois jubilatoire et délicieusement irrévérencieux.
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