Avec Le Schtroumpfissime (1965), Peyo et Yvan Delporte livrent une fable hilarante et intelligente sur le pouvoir, l’ambition, et les dérives de la politique, le tout en miniatures bleues. Ce deuxième tome des Schtroumpfs transcende son apparence enfantine pour offrir une satire universelle, à mi-chemin entre le théâtre comique et le drame shakespearien… avec des champignons.
Tout commence innocemment : le Grand Schtroumpf part en voyage, laissant son village sans figure d’autorité. Mais voilà, les Schtroumpfs, habituellement si unis, découvrent rapidement qu’ils ne peuvent pas se mettre d’accord sur qui doit les diriger. Un Schtroumpf, plus ambitieux que les autres, s’autoproclame leader en jouant sur les mots et les promesses. Très vite, le village se divise entre adorateurs béats et résistants sceptiques. Résultat ? Un chaos total.
Le Schtroumpfissime, avec son ego plus grand que le champignon le plus haut, est une caricature irrésistible du leader populiste. À grand renfort de slogans ridicules et d’une cour aussi inutile qu’obéissante, il s’enferme dans une spirale de mégalomanie hilarante, où même les décisions les plus absurdes deviennent des ordres absolus.
Les autres Schtroumpfs brillent par leurs rôles dans cette comédie politique. Entre les naïfs prêts à tout accepter, les rebelles discrets, et les opportunistes qui suivent le vent, chaque personnage incarne un archétype social qui fait sourire autant qu’il fait réfléchir. Même en bleu, ils nous rappellent furieusement nos propres sociétés.
Visuellement, Peyo est au sommet de son art. Les expressions des Schtroumpfs, qu’il s’agisse de l’enthousiasme béat des partisans ou de l’exaspération des opposants, sont magnifiquement rendues. Les scènes d’agitation dans le village, avec des Schtroumpfs qui construisent, manifestent, ou se battent, regorgent de détails savoureux.
L’humour, quant à lui, est omniprésent et fonctionne à plusieurs niveaux. Les enfants riront des situations absurdes et des gags visuels, tandis que les adultes apprécieront la satire politique subtilement distillée dans chaque page. Le jeu de pouvoir, les intrigues de cour, et les dérives autoritaires du Schtroumpfissime sont autant de clins d’œil à l’histoire et à la politique contemporaine.
Narrativement, l’album est parfaitement rythmé. De l’ascension du Schtroumpfissime à sa chute inévitable, chaque étape de son règne est ponctuée de rebondissements et de moments mémorables. Les dialogues, pleins de jeux de mots et de répliques piquantes, ajoutent une richesse supplémentaire à l’histoire.
Mais au-delà de l’humour, Le Schtroumpfissime offre une réflexion intemporelle sur le pouvoir et ses dangers. Peyo et Delporte montrent avec finesse comment l’ambition personnelle et la division peuvent transformer une communauté paisible en champ de bataille. C’est une leçon habilement emballée dans une aventure légère, mais qui résonne longtemps après la dernière page.
En résumé, Le Schtroumpfissime est un chef-d’œuvre de satire et de comédie, où les petits êtres bleus nous tendent un miroir souvent hilarant, parfois mordant. Peyo et Delporte démontrent qu’on peut traiter des grands sujets avec de petits personnages, et que même les champignons peuvent servir de décor à une leçon de démocratie. Un classique incontournable, où chaque page schtroumpfe de génie.