Moui, bon, ça se lit. Mais faut quand même pas être trop exigeant sur la qualité. Bon, le découpage, la mise en page, tout ça est très classique mais correct. Le graphisme commence à poser quelques problèmes. Le dessin est un peu léger à mon goût, on ne peut pas dire que ce soit extrêmement bien travaillé, et la colorisation en tons de gris est tout sauf subtile (les gros aplats de gris pour les ombres portées, on fait mieux). Mais disons que ça passe plus ou moins. Ou du moins ça passerait, étant donné qu'on a vu bien pire, si le scénario et les personnages tenaient la route.
Car ici, ça ne va plus très bien. Déjà, quand on s'attaque au mythe faustien, va falloir être à la hauteur (ben oui, y'a deux-trois bonshommes qui ont commis des chefs-d’œuvre sur le thème). Ce qui est loin d'être le cas de Mc Cloud. On se retrouve donc avec un personnage principal falot qui va pactiser avec la mort pour devenir un sculpteur célèbre ; déjà, le mec, il vend sa vie pour pas grand-chose. Mais le pire, c'est qu'il fait pas grand-chose de ce qui lui reste de vie - 200 jours seulement ! Et on tombe dans des platitudes sur l'art, voire des propos assez aberrants. Le héros méprise Koons et Murakami (notez qu'il vise la même chose qu'eux, pourtant) mais n'a qu'une chose à leur reprocher, à eux et à d'autres : le travail organisé en équipe en atelier. Donc, nous pouvons en déduire que notre héros ne connaît strictement rien à l'histoire de l'art, tout sculpteur qu'il est, vu que la gestion du travail en équipe existe depuis... allez, un exemple au hasard : Raphaël (qui est un tout petit peu connu et reconnu dans l'histoire de l'art). Que Raphaël, Dürer, et bien d'autres se soient battus pour qu'on reconnaisse les peintres, sculpteurs, etc., comme artistes, en mettant en avant la démarche intellectuelle plutôt qu'un savoir-faire artisanal, David Smith (c'est notre sculpteur) n'en sait rien. C'est un peu embêtant. Parce que du coup, dès qu'il va parler d'art, c'est soit à côté de la plaque, soit assez ridicule. Soit les deux. Et tout ce qu'il va réaliser ne sera pas bizarrement pas issu d'une démarche artisanale qu'il prône tant (et que pouvaient prôner les Préraphaélites, par exemple, mais avec des arguments carrément plus intéressants), puisqu'il va utiliser des super-pouvoirs qui n'ont rien à voir avec le modelage de la glaise ou le travail au burin. Il va passer son temps, donc, à réaliser des sculptures réalistes sans grand intérêt : des trucs issus de ses souvenirs, des copies d'autres sculptures, le portrait de sa copine en quarante mille exemplaires. Et quand il fait un truc intéressant (la boule qui renferme des petits personnages), il pique l'idée à une collègue qui réalise des intérieurs miniatures. Mais bon, la plupart du temps (le récit est étalé sur 500 pages, quand même), il ne fait rien. Il lui reste 200 jours à vivre et il glande. Le pacte valait le coup, ma foi.
Bon, oui, mais c'est pas tout. J'ai parlé de copine. Parce que, forcément, toute cette histoire sur l'art aurait eu du mal à remplir 500 pages, donc on y ajoute un brin de romance. Donc, pour faire très original, David rencontre la femme de sa vie le jour où la pacte est conclu (oh, c'est pas de chance, dites-donc!) Donc, là, on a deux personnages insipides pour le prix d'un, qui vivent une histoire insipide. Pour mettre du piment là-dedans, on fait de Meg une jeune fille dépressive - bien entendu, la dépression est traitée de façon aussi caricaturale que l'art. Meg, qui fait vaguement du théâtre. Mais surtout, qui ne peut se réaliser qu'en ayant un enfant, comme toute femme qui se respecte. Donc, vous avez bien suivi ? Le mec, lui, ne peut se réaliser qu'à travers l'art, et la femme, à travers la maternité. Donc, là, la moutarde me monte derechef au nez (je suis Dijonnaise, ça aide). Les discours rétrogrades sur l'art, je trouvais ça con. Le discours rétrograde sur l'homme et la femme, ça me désespère.
Je passe sur les références intellos hyper originales ("Le septième sceau", bien évidemment) qui n'étaieront pas pour autant l'album, ainsi que sur le fait que la création finale fait curieusement penser à un album de Forest ou à des illustrations de Schuiten. Je ne parlerai même pas du fait que Mc Cloud a essayé de développer le thème du double (le mythe faustien ne suffisant sans doute pas à son génie) et l'a laissé tomber en route.
Une question me taraude : pourquoi 500 pages pour dire si peu ???