De quoi lui sauter au cou.
Par Tardi et Siniac, Le secret de l'étrangleur est comme son nom l'indique une bande-dessinée qui ne parle pas de paquerettes et d'oiseaux fleurant bon la liberté, mais connote plutôt le polar, le roman noir et policier basé sur une intrigue doctement ficelée. Dans tous les sens d'ailleurs, comme le dévoile la fin à réalisations multiples, qui s'évertue à perdre le lecteur dans des possibilités qu'il envisagera en gradation. D'une fin plausible mais frustrante il touche à une deuxième fin davantage en accord avec ses attentes puis est malmené pour mieux être tourné vers l'absurdité : une toute fin abracadabrante !
Pourquoi parler de la fin pour évoquer une BD qu'on devrait tout d'abord prendre par le début ? Bonne remarque ! C'est pourquoi je vais vous en toucher deux mots. D'abord noyée sous des articles de presse, le livre à vignettes ne délivre pas tous ses apparats dès les premières pages. En effet, on contemple le professionnalisme de faits divers relatés sous formes d'articles de journaux que l'on subodore quotidiens. Faits pour plonger dans un contexte, celui des meurtres qui seront plus loin perpétré par notre étrangleur, ils servent à enrober l'histoire contée par dessins et bulles pour mieux s'immerger dans son univers. Bonne idée, même si on se demande tout d'abord ce que viennent faire ces bouts de canards dans un marc de café que l'on attend très noir et corsé.
Et on n'est pas déçu ! En effet, même si les approximations syntaxiques des articles en prémice pouvaient laisser dubitatif, la suite s'avère plus qu'enthousiasmante. Face à un personnage oscillant entre la sympathie et l'antipathie, on se prend de plaisir à suivre les pérégrinations criminelles de M. Esbirol. Bien entendu noyé dans un humour noir, l'aspect macrabre, relayé par une « décolorisation » totale et un temps de chien permanent, sert davantage l'humour qu'il ne le dessert. En effet, par contraste, on prend plaisir à suivre ces dessins, qui, eux aussi, paraissent inappropriés. « Ronds », d'un aspect « bien francophone », le trait est celui de l'humour. Pour peu, colorez tout ça et on pourrait faire face aux Bidochon ! Les formes ne sont donc pas rèches, abruptes, mais alléchantes et pourrait-on dire, presque harmonieuses. On pourrait, oui, car si ce n'était l'austérité du noir et blanc pour nous faire mentir, le graphisme pourrait complétement nous attendrir par sa naïveté et son authenticité.
Au final, pour faire bref, je vous le donne en mille comme en cent, cette bande-dessinée est un énorme plaisir qui constitue un entracte bienvenue dans une vie qui se prend en général bien trop au sérieux. Hormis des dehors lexicaux parfois rustres, mais après tout il s'agit bien de BD ici, ces 95 pages sont une agréable bouffée d'air tamisé par le brouillard. Effectivement, ce condensé relativise on ne peut mieux une vie de troubles en remettant délicieusement en cause les notions de meurtre, de trahison, d'amitié et de punition. Des relations sociales éclatées en dérision, donc, au service de la bonne humeur, mais cela, toujours en uniforme « paint it black ».