Savoie, 1920. Dans le village d’altitude de Traversoye, la cloche sonne pour annoncer les funérailles du mari et du fils de la vieille Blanca Dupraz. Les deux hommes sont pourtant revenus vivants de la guerre, mais comble de malchance, c’est une avalanche qui les a emportés une semaine plus tôt. Blanca ne les pleure pas particulièrement. D’ailleurs, elle n’ira pas à la messe, pas plus que sa belle-fille Pauline. Les deux femmes profitent du fait que tout le monde est dans l’église pour empaqueter leurs éléments de mercerie et quitter définitivement ce village où elles étouffent. Elles emmènent avec elles le jeune Florentin, dont les parents sont morts dans la même avalanche, ainsi qu’un âne pour transporter leurs affaires. Malgré les cols enneigés, Blanca et Pauline ont décidé de poursuivre le colportage d’articles de mercerie, comme le faisaient leurs hommes. Elles se lancent donc à pied à l’assaut des montagnes, afin d’atteindre les autres villages et les fermes isolées et leur vendre des boutons, des aiguilles ou du ruban. Une vraie folie par ce temps, d’autant plus que les chemins sont glissants et escarpés. Au début, tout se passe relativement bien. Mais la route de Blanca, Pauline et Florentin va sérieusement se compliquer lorsque leur équipage est rejoint par un certain Félix Arpin, un poilu rescapé de la guerre qui dit avoir bien connu le mari de Blanca sur le champ de bataille. En réalité, Félix n’a qu’une idée en tête : retrouver la montre à gousset en or volée par le mari de Blanca sur le corps d’un officier normand. Horrifiée par cette révélation, Blanca décide alors de retrouver la femme de cet officier pour lui rendre la montre. Mais évidemment, Félix ne l’entend pas de cette oreille. C’est le début d’une course-poursuite haletante à travers la France…
Avec « Le sentier des reines », Anthony Pastor signe l’une des BD les plus inattendues et les plus réussies de cette fin d’année. L’auteur français, diplômé en arts plastiques et en arts décoratifs, a travaillé dans le milieu du théâtre avant de venir à la bande dessinée. C’est peut-être de là que lui vient son talent pour la mise en scène, car il parvient à combiner un road-movie pédestre aux allures de thriller avec un portrait de la France rurale de l’après-guerre. Il y a clairement deux niveaux de lecture dans « Le sentier des reines ». D’un côté, une véritable aventure, qui se suffit à elle-même, avec du rythme et des rebondissements. Tout au long des 120 pages de l’album, Blanca et Pauline tentent désespérément d’échapper à Félix Arpin, qui finit toujours par les rattraper. Certes, Félix n’est peut-être pas aussi méchant qu’il en a l’air, mais il est en tout cas sacrément difficile à semer! D’un autre côté, « Le sentier des reines » constitue un témoignage historique passionnant, dans lequel Anthony Pastor aborde en particulier le thème de la réinsertion des anciens combattants dans la société française après la guerre et surtout celui de l’émancipation féminine. Après avoir été soumise toute sa vie, Blanca s’inspire en effet des écrits des premières féministes pour prendre son destin en main à la mort de son mari. Elle en profite pour emmener Pauline dans son sillage, même si étonnamment, la jeune femme semble plus hésitante à voler de ses propres ailes. Pour ne rien gâcher, « Le sentier des reines » est également parfaitement mis en images par le dessin tout en hachures d’Anthony Pastor, qui s’est notamment inspiré de cartes postales d’époque pour reconstituer la Savoie des années 20.
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