Tout ou rien...
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le 6 sept. 2013
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Sujet difficile que le mandat d'Allende au Chili, tant il polarise les passions, et suscite des versions tronquées :
- Pour la démocratie chrétienne et les Etats-Unis, Allende était un incapable en économie qui menait le pays à la ruine et a été stoppé au moment où il allait se transformer en dictateur.
- Pour le Ché et des mouvements de la gauche révolutionnaire chilienne, c'est un naïf qui a cru qu'on pouvait mener une révolution socialiste tout en maintenant une démocratie parlementaire avec la CIA qui frappe à la porte.
- Pour les défenseurs d'Allende, les sabotages perpétuels de la CIA lui ont empêché de mener à bien son oeuvre.
Cet ouvrage épais commence par un prologue assez déroutant, mais qui revient finalement à ceci : les auteurs qui s'intéressaient au Chili d'Allende se sont rendus compte qu'on le réduisait à la répression sous Pinochet, à la fin. Ils avaient d'énormes difficultés à trouver des récits continus sur ce que furent les 1000 jours d'Allende. Jusqu'à ce qu'ils rencontrent Soledad.
Ensuite, le livre donne la parole à la jeune femme, dont on suit le parcours. Issue d'une famille de jeunes paysans semi-libres qui décident de fuir leur campagne pour aller à la ville, elle connaît la pauvreté. A 15 ans, sa famille entend parler de campements sauvages occupés par des tentes susceptibles de se transformer en maisons si Allende arrive au pouvoir. Elle est envoyée occuper une tente. Elle découvre l'auto-organisation, les réunions le soir autour du feu de camp. Et tombe amoureuse du militant du MIR qui milite, Alejandro. Après cela, sa vie se confond avec la victoire d'Allende. Démarchages militants, découverte des étudiants, de la haine des momios (bourgeois de la démocratie chrétienne).
On suit ensuite les étapes du mandat d'Allende. Une grande partie est consacrée aux difficultés d'arrivée au pouvoir et aux multiples tentatives de déstabilisation de la droite chilienne. D'abord en accusant à tort Allende de vouloir confisquer la liberté ou même la constitution. Puis en organisant des attentats journaliers et des contre-manifestations.
On suit surtout la vague d'espoir qui naît avec ce pouvoir : les distributions gratuites de lait aux enfants pauvres, les éditions populaires de livre de poche, les mouvements spontanés d'autogestion face aux entreprises abandonnées.
Mais aussi les sabotages coordonnés de loin par la CIA. Les propriétaires qui fuient en emportant le capital industriel et les machines agricoles. Qui retiennent leur production et la vendent au marché noir. Qui font paraître des journaux répandant les fausses nouvelles et jouant sur les peurs. Les grèves des camionneurs. L'assassinat de généraux loyalistes comme Schneider.
On en vient à la dernière partie du mandat d'Allende. L'invitation de Castro. Le discours très applaudi à l'ONU, hélas sans effet. Le démarchage en URSS, qui ne donne pas les résultats escomptés. Les démissions de ministre face à l'insécurité et les bâtons dans les roues mis par le président du Sénat démocrate-chrétien, Aylwin. Un coup d'Etat manqué, qui n'est pas suivi de répression en destination de l'extrême-droite. Les prêts refusés, la spirale de l'inflation.
On suit tout cela, qui est connu, mais aussi l'incompréhension des militants du MIR, leur déception face au légalisme d'Allende. Et au fonds, il ressort de ce récit que si Allende était un dirigeant droit et noble, il était assez impuissant.
C'est là qu'il est difficile d'arriver à une conclusion concernant Allende : était-il impuissant du fait de son absence de prise sur la police et l'armée ? Ou a-t-il été trop naïf, en sous-estimant la capacité de nuisance de la CIA et de l'extrême-droite ? Le livre penche (très légèrement) pour cette deuxième vision.
En tout cas, la réflexion que je me fais, c'est que la chose à faire aurait été d'infiltrer ces groupuscules d'extrême-droite. Facile à dire, longtemps après, maintenant que les archives de la CIA se sont ouvertes et que l'on voit l'ampleur des moyens que déploya Nixon. Sans doute...
En tout cas, on ne peut lire ce livre sans ressentir un profond dégoût pour l'hypocrisie et la cruauté de la bourgeoisie démocrate-chrétienne. La même au fonds dont on voyait par exemple les turpitudes en Italie avec l'affaire Moro et les enquêtes du juge Falcone dans cette même décennie 1970.
Le temps des humbles est un roman graphique dense et documenté sur le Chili d'Allende. A lire si ces questions vous intéressent.
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Créée
le 5 déc. 2020
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