Vendu comme l’histoire du gars qui inspira Arsène Lupin à Maurice Leblanc, « Le travailleur de la nuit » éveille forcément l’intérêt des amoureux du gentleman cambrioleur. Servi par Matz en plus (responsable de l’excellent Le tueur par exemple), ça donne même franchement envie. Et ce n’est donc pas vraiment une surprise si la BD s’avère effectivement très réussie.
N’étant pas familier avec Alexandre Marius Jacob, je ne savais pas particulièrement à quoi m’attendre et avait conclus rapidement qu’on tournerait autour d’une virée avec des monte-en-l’air audacieux au tournant du siècle. C’est le cas, mais pas seulement.
Parce que notre ami Jacob a une vie incroyable, et parce qu’elle est racontée et mise en scène brillamment par les deux auteurs, on se retrouve happé depuis Marseille jusqu’au bout du monde, de la belle vie au bagne de Cayenne.
Ce que Matz fait bien ressortir c’est l’inéluctabilité du destin (du moins pendant un temps) du héros, de ses premières confrontations à la violence du monde (rapports sociaux très tendus, piraterie, esclavagisme, commerce du sexe, développement des courants anarchistes) qui vont l’emmener presque naturellement d’abord à un état d’esprit révolutionnaire puis à se transformer en Robin des bois (tout en gardant de quoi vivre largement).
Des multiples passages en prisons, de la haine de la maréchaussée et de la justice à la solde des puissants, les auteurs nous racontent une époque dans laquelle se ballade notre Jacob, refusant d’être contraint à ce que l’ordre social avait prévu pour lui, quitte à ce que cela lui coûte considérablement en temps passé derrière les barreaux et malgré les dommages causés à sa famille.
L’évolution du récit, passant par des péripéties inattendues amène à une dernière partie à découvrir, qui malgré le caractère du personnage n’en reste pas moins emplie de tristesse et de mélancolie.
En conclusion, et pour élargir un peu le propos, « Le travailleur de la nuit » s’inscrit dans une mouvance de la bd franco-belge traitant de politique au sens large et des mouvements gauche (voire extrême-gauche ou anarchisme) depuis quelques années, même si le sujet n’est pas nécessairement au centre du sujet de ces œuvres. On pensera par exemple à Lupano avec « Communardes », Kris avec « Un homme est mort » ou encore Legrand et Djian avec « Les quatre de Baker Street ». Reste à voir ce qui de notre monde actuel fait écho à cette frange des mouvements politiques d’il y a un siècle et ce qui pousse ces auteurs à écrire des histoire sur ces sujets.