Même si la sidération et l’émerveillement ressentis à la lecture du premier tome se sont émoussés ici, la suite de ce diptyque reste tout de même d’une très bonne tenue. Pas si simple d’adapter ce récit aux multiples enchâssements du mythique Jack London, et Riff Reb’s, armé de son talent et de son pinceau expressif, gère plutôt bien cette complexité, permettant à la narration de rester fluide. A l’intérieur du récit cadre, caractérisé par son unité de lieu (le pénitencier où végète Darrell Standing), se déploient plusieurs tranches de vie évoquées plus ou moins longuement, à des époques et sur des continents différents, des vies toujours marquées par la violence ou la solitude liée au bannissement. C’est ainsi que nous suivrons un convoi de colons vers un Far West hostile, un marin au destin shakespearien, un jeune viking devenu officier dans l’Empire romain, une naufragée chassée de son pays d’origine, et enfin un indien rejeté par sa tribu…


Chaque mini-histoire comporte un lien unissant chacun des personnages centraux à Darrell Standing, outre le fait que lui-même est la réincarnation de ces derniers. Standing, qui est le propre narrateur de son récit, connaît parfaitement ce lien, qui n’est autre que cette fameuse « colère rouge » qui l’habite. Une colère maudite venue du fond des âges qu’il n’a jamais, de réincarnation en réincarnation, réussi à dompter. Quant à en donner l’explication, il avoue son impuissance : « Est-ce par amour que nous avons défriché des forêts, construit des maisons, traversé des océans ? Est-ce par amour que nous avons inventé la poésie et commis des crimes de sang ? (…) Peut-être avez-vous une réponse à toutes ces questions, moi pas ». Standing n’est certain que d’une chose : le cycle de ses réincarnations ne cessera que lorsque ses destinées ne seront plus annihilées dans le sang et la violence…


Quand bien même nous n’aurions pas la réponse, il est toutefois possible de tirer quelques enseignements de ce « Vagabond des étoiles », servi par le magnifique dessin de Riff Reb’s et les beaux textes de Jack London. Si l’histoire de cet homme aux multiples vies peut surprendre de la part d’un auteur qui se disait athée, il conviendra d’en chercher la finalité ailleurs. Sans doute n’est-elle qu’un simple prétexte destinée à susciter l’empathie dans un monde qui en a manqué cruellement depuis que l’humanité existe, et par extension, un plaidoyer contre la violence des uns sur les autres, mais surtout — et là il faut resituer le contexte, London ayant publié ce roman en 1915 après avoir séjourné dans les prisons américaines, d’où il ressortit, révolté par les conditions d’incarcération — la torture en prison (la camisole entre autres) et bien sûr la peine de mort (toujours d’actualité au pays de l’Oncle Sam…). Admettre sa propre multiplicité pour mieux accepter l’autre, modelé dans le même « argile », issu de la même poussière d’étoile, telle est peut-être le message humaniste qui émerge de ce récit aussi âpre et tragique que vivifiant, et pas optimiste pour autant car laissant chacun à sa réflexion.

LaurentProudhon
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le 8 nov. 2020

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