Le 12 janvier 1953, s'ouvrait à Bordeaux un procès sensible lié à un évènement ignoble de la Seconde Guerre mondiale. Quelques jours auparavant, des Alsaciens s'étaient rendus volontairement en train dans la ville pour y être jugés. Dans le box des accusés, ces hommes devaient répondre d'un crime: celui d'Oradour-sur-Glane. La situation était inédite, et les plaies de la guerre allaient se rouvrir durablement, tant la situation de ces Alsaciens allaient être compliquées à gérer par les juges, par les accusés et par les familles de victimes elles-mêmes pour qui la qualification de "Malgré nous" n'allaient pas être acceptée.
Ce procès mettait effectivement en lumière le cas de ces jeunes Alsaciens, partis combattre dans la Waffen SS et forcés pour la plupart d'entre eux à participer à des massacres de civils. Marcel Grob fut l'un d'eux. Obligé de quitter son Alsace natale à l'été 1944, il préfère ne pas déserter pour éviter des représailles sur sa famille. Aux cotés d'autres jeunes de son âge, il est incorporé dans une des divisions SS la plus redoutable, la division Reichsführer. Après une courte formation sportive et sur le maniement des armes, il est plongé dans les violences guerrières et les exactions de sa division, jusqu'au point culminant de "sa carrière" et du livre, le terrible massacre de Marzabotto, Oradour italien, où des centaines de civils furent assassinées à l'automne 1944. Marcel Grob y prit une part active, ce qui lui vaut dans l'ouvrage d'être convoqué des années plus tard pour venir s'expliquer devant un jeune juge d'instruction virulent, avide de chasser du nazi.
La bande dessinée qui fait un tabac depuis quelques mois par ces nombreuses critiques dans la presse et par le fait que les auteurs participent à toutes sortes de rencontres et colloques, met en scène l'histoire vraie du grand oncle du célèbre journaliste Philippe Colin. Lorsque ce dernier se rend compte du passé de son aïeul, il le rejette pour découvrir par la suite la vérité sur sa condition de malgré-nous. Mais c'est trop tard, le Grand-Oncle n'est plus. Du coup, l'ouvrage est-il une réhabilitation de Marcel Grob ou juste une leçon d'histoire pour populariser le destin tragique de ces hommes pris dans la tourmente de la guerre qui n'ont que le choix égoïste de fuir et se cacher, mettant la vie de leur famille en danger ou tuer d'autres civils pour sauver leur propre vie? Ce sera à chaque lecteur de prendre l'ouvrage comme il le voudra. En tout cas rien n'y est tout noir ou tout blanc, et même Marcel Grob n'est pas exempté de la grenade qu'il jette dans l'église de Marzabotto dans laquelle des femmes et des enfants ont été enfermées par les SS.
Qu'aurions-nous fait à leur place? Question très simple à poser aujourd'hui, mais la réponse ne satisfera à coup sûr personne. Alors cessons de nous la poser, car justement personne n'y était. Gardons seulement comme ce livre le veut, la mémoire de ces évènements et de ces destins si différents d'un individu à l'autre, si mouvants d'un évènement à l'autre.
Le dessin est efficace, le jeu de couleurs des lavis éclaire la compréhension de l'album. Le discours des personnages est cohérent, celui du juge peut être un peu simpliste "vous auriez pu vous suicider par exemple non?", mais n'est-ce pas celui que tiennent les ignorants? Le tout se termine par un dossier documentaire sur la SS rédigé par Christian Ingrao.