Gabriel est un jeune garçon issu de l'union entre un colon européen et une mère d'origine rwandaise réfugiée au Burundi. Avec sa sœur Ana, il vit chichement dans une maison, au fond d'une impasse de Kinanira, quartier de Bujumbura, ville du Burundi.
Avec quelques autres garçons du coin, il crée son "gang", les Kinanira Boyz, dont le but est de dérober les mangues mûres des jardins des villas du quartier pour les revendre et gagner quelque argent pour s'acheter gâteaux et bonbons qu'ils mangent ensemble dans leur quartier général: un vieux combi Volkswagen à l'abandon au milieu d'un terrain vague voisin. Les adolescents grandissent et les fruits de leurs menus larcins sont désormais consacrés à essayer d'acheter les accessoires de mode hors de prix nécessaires à impressionner les jeunes filles du collège.
1993 arrive, c'est l'année où les Burundais testent l'expérience de la démocratie après plus de vingt années de pouvoir militaire. Gabriel n'y comprend pas grand chose tant son père l'a préservé depuis toujours de la politique. Il se montre simplement impressionné par ces files de personnes qui attendent patiemment devant les bureaux de vote. La proclamation des résultats des élections et la défaite du parti de l'armée ouvre l'espoir d'un renouveau démocratique du pays.
Mais la guerre civile qui éclate quelques jours plus tard et l'assassinat du président fraîchement élu ruinent ce rêve auquel était attaché nombre de Burundais. Gabriel, réfugié dans sa maison avec son père et sa sœur, entend au loin les coups de feu et écoute les rumeurs au sujet des massacres qui se produisent dans le pays. Tout cela n'a rien de concret pour lui, jusqu'au jour où, dans la cour de son école, éclate une bagarre qui va le happer dans le tourment des violences.
Car à cette guerre civile vient se superposer un génocide importé de l'autre Petit pays voisin: celui des Tutsi par les extrémistes hutu au Rwanda. L'attentat contre le président rwandais et le nouveau président burundais le 7 avril 1994 en marquera le début et constituera le prétexte au massacre de milliers de personnes. Dans le Pays aux mille colonies, près d'un million de Tutsi seront massacrés par des milices extrémistes en une centaine de jours.
Gabriel se rend compte qu'il est tutsi de par ses origines maternelles, et que sa famille est en train de mourir de l'autre côté de la frontière. Comme beaucoup de personnes, Hutu ou Tutsi, il ne connait pas l'origine lointaine et absurde de ce racisme créé de toutes pièces par les colons européens allemands puis belges. Ce qu'il sait c'est qu'on tue désormais simplement pour la couleur de la peau, la longueur d'un nez ou celle d'une nuque. Comme dans tout génocide, on invente une catégorie d'ennemis et on s'en improvise son bourreau.
La sauvagerie qui entre dans le Petit pays de Gabriel transforme les gens. Le gang de petits garçons voleurs de mangues se fait milice d'autodéfense de l'impasse où ils vivent. Les anciens voisins deviennent assassins, les tueurs sont habités par une haine sauvage qui les pousse à s'acharner sur leurs victimes; les rescapés sont hantés par les images insoutenables des corps de leurs proches démembrés à coups de machette. "Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s'y sont pas noyés, sont mazoutés à vie".
Gabriel, lui, tente de se préserver de tout cela en se réfugiant dans des livres que lui prête chaque jour une vieille voisine d'origine grecque et dans une correspondance qu'il entretient avec son amoureuse française qu'il n'a jamais vue. Mais sa position est difficile à tenir: enfant de tutsi, il est vu pas les extrémistes Hutu de son pays comme un autre de ces "cafards" qu'il faut exterminer; fils d'un père français, il est considéré par les tutsi burundais comme une sorte de collabos qui a participé au massacre au Rwanda.
L'auteur de ce magnifique livre, Gaël Faye, est surtout connu en France dans le monde de la musique et du slam. En nous livrant ici son premier roman semi autobiographique , il nous fait comprendre à travers les yeux d'un enfant, les mécanismes de haine qui poussent les gens à commettre l'irréparable.