Parfois, au travail, des collègues laissent des vieux livres dont ils veulent se débarrasser. Ce sont souvent des livres de poches ou des ouvrages pour enfant. À ma grande surprise, quelqu’un souhaitait se séparer de « Léon la came », un ouvrage réalisé au siècle dernier par deux stars aujourd’hui : Nicolas De Crécy et Sylvain Chomet (réalisateur des « Triplettes de Belleville » quand même…). Une association qui sonne de nos jours comme une évidence tant leurs univers sont proches. Pas étonnant qu’ils aient beaucoup travaillé ensemble. C’était l’occasion pour moi de lire un peu plus de Nicolas de Crécy, un auteur singulier, tant dans son graphisme que dans ses scénarios. J’ai eu en main la version Casterman, option « Les romans à suivre ».
Léon a fondé son entreprise. Il est alors communiste et souhaite le meilleur pour ses ouvriers. Sa boîte reprise par son fils, il part en vadrouille autour du monde et on perd sa trace. Mais voilà qu’à presque 100 ans, il revient d’entre les morts. Sa famille le voit d’un œil suspicieux. Est-ce vraiment le grand-père ? Peut-on l’exploiter pour l’entreprise ? Sera-t-il au contraire nocif ? L’ancien communiste, qui a vécu une vie d’aventure, est vite encombrant dans cette famille bourgeoise.
« Léon la came » est un ouvrage de 150 pages blindé d’anti-héros. Le personnage principal est un homme faible, peureux, inutile… Mais pas méchant. Léon va tenter de le dérider et de lui donner confiance. Ici, l’humour est noir, voire carrément scatologique. Cela donne une couleur particulière à l’ouvrage. Clairement, ça en rebutera plus d’un. Même chose concernant la narration qui prend son temps pour se développer. Mais si vous adhérez au ton de l’ouvrage, c’est du pur bonheur. Sorti en 1995, ce « Léon la came » est un parfait exemple du renouveau de la bande-dessinée à l’époque.
L’ouvrage tient surtout de ses personnages hauts-en-couleur. Il y a un côté inquiétant ou malveillant chez beaucoup d’entre eux. Le héros est le candide, Léon la bouffée d’oxygène. L’ouvrage, qui critique clairement la mondialisation et l’entreprenariat sauvage, est aussi profondément humain. Notre héros, incapable de vivre dans cet univers, en est complètement exclu. Il en devient inutile. Et il faudra Léon comme mentor pour qu’il s’affirme. Mais au-delà de la description de l’univers, le scénario propose quelques surprises. La fin, par exemple, est très réussie.
Le trait de De Crécy, faussement incertain, convient parfaitement à l’ouvrage. Il y a une belle osmose texte/dessin. Son Léon est magnifiquement ridé. Tous les personnages sont expressifs, souvent écœurants d’ailleurs. Léon, pourtant considéré par la société comme repoussant de par son âge, est l’un des seuls à avoir un peu de douceur dans ses expressions. Les couleurs, mélange d’orange/ocre et de bleu, participent fortement au malaise suscité par l’histoire. Le parti pris est fort, cohérent, mais ne plaira pas à tout le monde.
J’ai dévoré ce « Léon la came ». Je n’ai pu m’en détacher avant d’arriver au bout. Si au départ, le livre semble être avant tout une description un peu foutraque d’une famille bourgeoise, c’est bien plus que ça. Le scénario se développe finalement bien plus et on s’aperçoit bien, par les flash forwards, que les auteurs savent bien où ils vont dès le départ… Une bande-dessinée à (re)découvrir !