Comment créer un ennemi de la société?
Wilfried Lupano est décidément un grand raconteur d’histoires. Ces derniers mois, on avait déjà pu découvrir toute l’étendue du talent de ce scénariste dans "Le singe de Hartlepool" et "Les vieux fourneaux", deux albums aussi réussis que différents l’un de l’autre. Avec la série "L’assassin qu’elle mérite", il nous bluffe une nouvelle fois avec un récit aussi original que bien construit. Dans cette histoire, qui démarre à Vienne en 1900 avant de se poursuivre à Paris dans "Les attractions coupables", le troisième tome qui vient de paraître chez Vents d’Ouest, Lupano démontre de manière froide et désabusée que l’argent peut rendre n’importe quel être humain complètement fou. "L’assassin qu’elle mérite" est l’histoire d’une odieuse manipulation. Prévue en 4 tomes, cette série raconte l’histoire de Victor, un jeune homme pauvre qui a le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Alec et Klement, deux riches noceurs, jettent en effet leur dévolu sur Victor, dont ils décident de modifier la trajectoire de vie afin de le transformer en "une œuvre d’art vivante". "Il s’agit de créer un criminel ex nihilo, à partir d’un individu et parfaitement intégré", souligne Alec. "Voilà qui serait une oeuvre d’art subversive et véritablement décadente. Donner à cette odieuse société l’assassin qu’elle mérite!" Pour atteindre cet objectif machiavélique, Alec ouvre d’abord grand son portefeuille, ce qui permet à Victor de troquer la misère pour une vie de luxe et de découvrir les plaisirs de la plus prestigieuse maison close de Vienne, avant de subitement refermer le robinet d’argent. Son but? Faire en sorte que Victor soit prêt à tout pour avoir les moyens de poursuivre son rêve, y compris devenir un criminel. Le plan des deux dandys viennois fonctionne à merveille, puisque Victor vit une véritable descente aux enfers et devient effectivement un voyou violent et hors de contrôle, attiré qui plus est par les idées antisémites en vogue à l’époque… Mais on le sait: la vengeance est un plat qui se mange froid. Dans "Les attractions coupables", Victor a repris du poil de la bête et est devenu l’ami de Klement, l’ancien acolyte d’Alec. Les deux hommes, qui ont tous deux vu leurs vies détruites par le pari cynique d’Alec, décident de se rendre à Paris pour le retrouver et lui rendre la monnaie de sa pièce. A cette occasion, ils vont découvrir que celui-ci prépare un étrange complot… Superbement mis en images par Yannick Corboz, dont le dessin s’améliore d’album en album et qui profite du décor de l’Exposition universelle à Paris en 1900 pour donner libre cours à son trait très art nouveau, ce troisième tome s’avère tout aussi réussi que les deux premiers, notamment parce qu’il jette une lumière nouvelle sur le personnage d’Alec et sur ses véritables motivations. A noter que la série "L’assassin qu’elle mérite" a déjà reçu de nombreux prix, notamment le prix spécial du jury du Festival de Lyon et le prix coup de coeur du Festival de Lys-les-Lannoy.