Stupeur et émotions
Se basant sur une aberration dans le système d'immigration et d'adoption des Etats-Unis, Blue Bayou, film d'une grande puissance émotionnelle, retrace l'expulsion d'un homme né en Corée mais adopté...
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le 2 mars 2022
BD (divers) de Karim Alliane, Jack Parker (Taous Merakchi) et Mashi (2023)
Je ne suis pas du tout "bande dessinée", ce format ne me plait guère, mais je me suis penché sur ce livre après invitation de la part de mes collègues bibliothécaires pour réussir à forger un avis collectif. À première vue, le premier tome des "Combats Invisibles" reçoit d'assez bonnes critiques. Il est réalisé en collaboration avec l'association e-Enfance pour lutter contre le harcèlement scolaire, et il a même été rendu gratuit en téléchargement le 9 novembre. Il semble être reconnu d'utilité publique dans ces critiques et dans la presse. Cependant, après lecture et concertation avec les collègues, un bilan plus amer nous vient : celui d'un message de fond nécessaire socialement, mais d'une forme beaucoup trop maladroite.
Océane et ses copines collégiennes sont harcelées par un groupe de garçons qui se font appeler "Les cavaliers de l'apocalypse", dans l'établissement et sur les réseaux sociaux. L'histoire se termine par le suicide d'une des collégiennes harcelées.
Dans "Les Combats Invisibles", les adultes ne tiennent absolument pas leur rôle et ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan du harcèlement. Bien sûr, l'intention des auteurs était d'avoir un récit centré sur le monde adolescent, mais les rares interventions des adultes dans le texte sont pour la plupart consternantes.
À aucun moment un adulte intervient véritablement pour défendre une victime, alors que les personnages majeurs du livre sont tout de même des professeurs, des parents et un proviseur...
Dans les premières pages, une des profs d'Océane lui demande "Est-ce que ça va vraiment ?", "Comment ça va à la maison ?", mais ça ne dure que 2 cases. On aura de nouveau ces questions de la part de ses parents lors d'un dîner, mais pareil ce sera assez court, et entrecoupé d'une discussion futile du père et la mère, simulant le désintérêt des questions posées à leur enfant.
Un proviseur froid et un prof de sport inconscient viennent s'ajouter à la liste des adultes à bannir, réprimant tous deux les victimes sans réelle raison. Le prof de sport ira tout de même jusqu'à rentrer dans les vestiaires des filles pour demander à une élève nue dans une cabine de se dépêcher sous peine de sanction, après qu'on lui ait volé ses vêtements et qu'on l'ait prise en photo dévêtue à son insu : le prof ne réagira pas. Enfin, après le suicide d'une des victimes dans les dernières pages, un ado lâchera "on s'en fou qu'elle soit morte" devant un membre du corps enseignant, sans réaction de sa part. Consternant.
Tout dans ce livre fait paraître que l'adulte est tout le contraire d'un renfort, à une époque où nous éduquons les jeunes à parler justement à un adulte au moindre problème, au moindre début d'harcèlement, pour trouver une oreille, du réconfort et de l'aide. Ce texte, lu par un ou une adolescente, pourrait avoir l'effet inverse : lui faire penser que les adultes ne peuvent pas les aider parce qu'ils s'en foutent ou qu'ils réagiront bien trop mal, et l'inciter par conséquent à ne pas en parler avec ses parents ou ses profs. Alors qu'il le faut !
La BD introduit même les termes de "pookie", "poucave", "balance", insistant encore plus dans le fait que de parler avec un adulte d'un quelconque problème est inutile, voire emmerdant.
En revanche, et nous serons je pense tous d'accord à ce sujet, il ne faut pas pour autant fermer les yeux sur les agissements actuels et les méfaits d'une société scolaire en difficulté, et faire penser que tout va bien dans le meilleur des mondes, mais ici l'objectif ne semble pas d'informer, mais plutôt d'exagérer tous les traits pour choquer, en concentrant dans 200 pages tous les harcèlements et toutes les horreurs possibles. Bien sûr que les élèves d'aujourd'hui subissent une flopée beaucoup trop importante d'harcèlements, mais l'exagérer sans parler des solutions ne permet pas de résoudre le problème.
Car en effet, les solutions n'existent quasiment pas dans le récit. Les seules piqures de rappel à ce sujet sont le numéro 3018 placé quelques fois et la référence à quelques mouvements sur les réseaux sociaux. Mais ça s'arrête là, et à aucun moment les adolescentes ne perçoivent de réels espoirs quant à l'arrêt de ces harcèlements. La police n'est jamais citée. Les adultes ne sont d'aucun secours. Les seules sanctions de l'intégralité du livre sont à l'encontre des victimes, jamais à l'encontre des coupables.
Dans un passage, l'une des victimes est reçue dans le bureau du proviseur avec sa mère parce que certaines de ces "nudes" ont fuitées et sont partagées dans tout le collège. Celui qui a fait fuité les photos, son petit-ami, est également présent à ce rendez-vous en compagnie de ses parents. Ne supportant pas la situation, la victime partira en courant de cette entrevue, et sa mère répondra qu'"elle est un peu particulière en ce moment". La mère du coupable sous-entendra aussi que la victime n'avait pas à envoyer de photos d'elle. Un discours qu'il faut sérieusement commencer à proscrire. RIEN ne sera dit à l'encontre du garçon coupable (volontairement) de la fuite. Et même si je suis conscient que ce passage est là pour dénoncer justement ce discours, il reste affligeant dans le sens où il dépeint encore une fois une situation où les adultes sont sans solution et où ils vont même dans le sens du coupable : un adolescent mal accompagné qui lit ce texte peut rapidement faire le raccourci et penser que les adultes ne lui seront vraiment d'aucun secours (alors que c'est bien le contraire !). Et je précise que l'éditeur de la BD a indiqué qu'elle pouvait être lue dès 9 ans...
Je passerai outre que le fait que je trouve l'ensemble du texte assez mal construit, des passages sans réellement de sens, des personnages à bascule assez compliqués à cerner, et une rapidité d'énonciation qui ne sert pas le propos.
Au final, je pense que les auteurs ont décidé de dénoncer plutôt que de sensibiliser, ce qui aurait été préférable à mon sens, la BD s'adressant à des jeunes. Même s'il est vrai qu'un petit ensemble de pages à la fin du livre reprend des statistiques et explique, sans fiction, le réel problème.
Mais j'imagine un ado lisant ce livre, et n'ayant pas les ressources et l'accompagnement nécessaires pour comprendre que si, les adultes sont la solution. Et ça fait que pour moi, cette BD, qui manque cruellement de message d'espoir, renvoie une vision contraire à celle désirée initialement : elle en est même presque dangereuse.
Créée
le 18 nov. 2023
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