J'étais pas spécialement attiré par ce récit ; je craignais en effet un récit au message politique très (trop) fort, le tout teinté de misérabilisme. Finalement c'est assez prenant : comme quoi, ça a du bon de se forcer à découvrir des choses qui, a priori, ne nous intéressent pas.


En fait, je ne savais rien de ce récit ; ma grosse surprise fut de découvrir qu'il était double. D'un côté, l'auteur reconstitue les faits en BD et d'un autre, en parallèle, il raconte son périple sur place puisqu'on lui avait demandé de suivre une équipe sur cette île, équipe destinée à étudier cette vie passée. L'auteur parvient à nouer les deux récits sans jamais se répéter. Chaque récit fonctionne selon sa propre dynamique et trouve sa propre fin.


J'ai bien aimé cette reconstitution car elle apparaît comme un récit d'aventure exotique. La fin est un peu soudaine peut-être. Je trouve aussi dommage que l'auteur se soit limité à la reconstitution là où il aurait pu davantage creuser les personnages. Mais en même temps je comprends la démarche, il voulait manipuler le moins possibles les données acquises. Par conséquent, je pense que toute cette documentation pourrait servir à raconter une belle aventure fictive, en espérant que le dessinateur ait cette idée.


L'autre récit, plus documentaire, est également très intéressant. Celui dépend beaucoup moins des ressors narratifs, l'auteur progressant à sa guise comme s'il tenait un journal de bord. Il parvient à dresser là un parallèle intéressant, en expliquant la manière de vivre de cette micro société. Peut-être que cette mise en parallèle peut choquer tant le contexte diffère, surtout qu'on ressent une forme de prétention au travers du récit, mais bon, cela ne dérange jamais vraiment. Au final, il raconte principalement son séjour sur cette île, la manière dont lui et le reste de l'équipe se sont adaptés à l'environnement. Je pense que ça aurait pu aller plus loin, l'auteur préférant rester lisse là où il aurait pu aborder un peu plus l'aspect sociétal dans ses dissonances les plus subtiles.


La voix off est très présente. Heureusement, l'auteur dit des choses intéressantes. Peut-être met-il trop d'ornement dans sa prose là où un style direct aurait peut-être été plus efficace. Je ne sais pas. En même temps cette manière proprette de s'exprimer fonctionne assez bien avec le style graphique. Puis surtout, je le répète, il dit des choses intéressantes. Il s'arrête sur des pensées personnelles, mais ne s’appesantit pas trop dessus, il sait vite passer à autre chose, à des descriptions plus factuelles, moins philosophiques.


J'aime beaucoup le graphisme. L'on notera que la partie documentaire est plus jetée, plus brute, mais toujours dans un style très propre, très maîtrisé. Ses aquarelles fonctionnent même si on sent que l'auteur est moins efficace là que pour l'encrage : en effet, par moment on regrette qu'il n'y ait pas une mise en couleur plus travaillée, au niveau de la lumière, des matières. En contre-partie, le trait, les personnages, les compo sont très chouettes.


Le graphisme de la reconstitution est plus froid, plus réfléchi je dirais. C'est toujours très bon, mais c'est différent. Là aussi on trouve de belles compo, un trait précis. Mais je crois que j'aime un peu moins. La mise en couleurs est ici réalisée à l'ordinateur. Cela fonctionne assez bien et l'on ressent moins l'absence d'un travail sur la lumière ou sur la matière, le scénario prenant le relais sur la contemplation. Cela n'empêche pas l'auteur de délivrer de très belles planches.


Globalement, ce qui enchante, c'est la clarté du récit, la lisibilité des dessins. C'est beau, l’œil se perd volontiers d'une case à l'autre. Et malgré un style réaliste, l'auteur résiste à l'envie de placer un maximum de détails : c'est donc au travers d'un dessin épuré qu'il s'exprime. Seul bémol, c'est qu'il surcharge un peu trop ses pages qui comportent beaucoup trop de cases là où un jeu de mise ne page aurait permis de respirer un peu. Cela devient d'autant plus problématique lorsqu'il faut se taper les nombreux textes. Si bien que la clarté des cases se retrouve parasitée par une abondance de texte dont on ne sait pas toujours l'ordre de lecture (on ne sait pas de suite si le texte situé en dessous d'une case appartient à cette case ou bien à la case du dessous qui fait la même taille).


Bref, voilà une bande dessinée assez intéressante. Je pense que ce double projet aurait pu être poussé plus loin narrativement parlant mais il reste en l'état un très agréable divertissement et un document plutôt bien fourni sur un épisode sombre de notre humanité.

Fatpooper
7
Écrit par

Créée

le 22 mai 2016

Critique lue 266 fois

3 j'aime

Fatpooper

Écrit par

Critique lue 266 fois

3

D'autres avis sur Les Esclaves oubliés de Tromelin

Les Esclaves oubliés de Tromelin
Theloma
8

Poignant

Une bien belle BD au service d'une incroyable histoire qui plus est d'une histoire vraie. En 1761, l'Utile, un navire négrier fait naufrage sur un ilot de sable d'un kilomètre carré au beau milieu de...

le 9 mars 2016

4 j'aime

3

Les Esclaves oubliés de Tromelin
Fatpooper
7

Dieu est mort

J'étais pas spécialement attiré par ce récit ; je craignais en effet un récit au message politique très (trop) fort, le tout teinté de misérabilisme. Finalement c'est assez prenant : comme quoi, ça a...

le 22 mai 2016

3 j'aime

Du même critique

Les 8 Salopards
Fatpooper
5

Django in White Hell

Quand je me lance dans un film de plus de 2h20 sans compter le générique de fin, je crains de subir le syndrome de Stockholm cinématographique. En effet, lorsqu'un réalisateur retient en otage son...

le 3 janv. 2016

122 j'aime

35

Strip-Tease
Fatpooper
10

Parfois je ris, mais j'ai envie de pleurer

Quand j'étais gosse, je me souviens que je tombais souvent sur l'émission. Enfin au moins une fois par semaine. Sauf que j'étais p'tit et je m'imaginais une série de docu chiants et misérabilistes...

le 22 févr. 2014

120 j'aime

45

Taxi Driver
Fatpooper
5

Critique de Taxi Driver par Fatpooper

La première fois que j'ai vu ce film, j'avais 17ans et je n'avais pas accroché. C'était trop lent et surtout j'étais déçu que le mowhak de Travis n'apparaisse que 10 mn avant la fin. J'avoue...

le 16 janv. 2011

107 j'aime

55