Je ne suis pas très bon en critique, j'ai vu beaucoup d'internautes résumer l'œuvre et aborder beaucoup d'aspects différents mais je ne me vois pas faire ça. Je vais me contenter d'expliquer pourquoi je trouve le scénario de Aku no Hana génial et pourquoi j'ai surtout aimé la deuxième partie, celle qui n'a jamais été adaptée en anime. Pour ce faire, je vais spoiler l'intégralité de l'histoire, mais je ne mets pas de balises de spoil parce qu'elles ont un aspect horrible, surtout quand elles recouvrent tout le texte, et ne sont pas pratiques du tout (il faut passer la souris sur le texte). Bref, vous l'aurez compris, ne lisez pas plus loin si vous n'avez pas déjà fini le manga.
J'ai moyennement aimé le début du manga parce que je ne comprenais pas trop ce que voulaient les personnages (notamment le MC) et qu'il me semblait qu'ils faisaient n'importe quoi. L'escalade dans la prise de risque catastrophique était réussie mais ça ne me suffisait pas à trouver le manga très bon et je pense que j'avais raison puisque la suite donne un nouveau sens cette partie qui n'est en fait que l'introduction.
À mes yeux, le manga raconte l'histoire d'un garçon introverti/asocial mais pas fondamentalement anormal qui cultive sa différence parce qu'il n'arrive pas à fit in. Il se dit que s'il ne peut pas être un aussi bon normie que les autres normies, c'est qu'il a un destin différent/supérieur et il se convainc que lui, son truc, c'est la poésie, et que les autres ne peuvent pas comprendre. Il fait entrer la jolie fille pour laquelle il craque dans le schéma en en parlant comme une "muse" (ce qui est un peu ridicule). Le MC est donc initialement plutôt malheureux et seul mais confortablement enfermé dans son rapport simpliste au reste du monde et vaguement amoureux d'une fille qu'il ne connaît pas vraiment. Cette distance avec la fille, qui devrait être source de douleur, conforte en fait l'idée qu'il se fait de lui-même et rend la situation plus cohérente et facile à tenir que s'il essayait de la séduire.
Quand il se rapproche d'elle, c'est en fait naturel que cela ne se passe pas bien : il est toujours asocial, il ne sait pas comment fit in à ses côtés et il n'a pas grand chose à lui dire. Je ne l'avais pas compris en lisant les premiers chapitres (je ne sais pas si c'est normal, si on n'est pas censés comprendre aussi tôt, ou bien si je suis un peu bête, mais peu importe puisque j'ai compris par la suite). À l'opposé, Sawa lui donne l'occasion d'augmenter sa différence, d'améliorer son confortable schéma qui le place loin des autres. Elle est authentiquement différente, plus que lui, mieux que lui, et propose même des catégories à ajouter à son schéma (le concept de perversion, le concept de mange-merde (la misanthropie en fait), et le concept d'autre côté) qu'il tente de faire coïncider avec sa compréhension de Baudelaire. Quand il rejette Saeki pour aller vers sa persécutrice qu'il ne comprend même pas, j'ai trouvé ça débile, mais c'est en fait très cohérent. À cet intérêt égoïste s'ajoute manifestement l'envie d'aider Sawa, de lui proposer la compagnie de quelqu'un d'assez similaire à elle pour la comprendre, en opposition à Saeki qui est une normie et n'a pas besoin de lui. Seulement, on sent bien qu'il n'y parvient jamais tout à fait, qu'elle reste malgré tout plus bizarre que lui, qu'il ne la comprend jamais et ne peut pas la sauver vraiment, ce qui crée un malaise rétrospectivement délicieux pendant toute cette partie de l'histoire.
Vient la scène du festival : elle le trahit, le repousse, et tente de mourir seule. Il ne comprend pas, moi non plus sur le moment, mais c'est en fait simple : elle le remercie pour ces efforts qui ont légèrement atténué son calvaire pendant quelques temps mais souhaite qu'il vive parce qu'elle a compris qu'il était moins anormal qu'elle et qu'il trouverait sa place dans le monde avec quelques efforts, contrairement à elle. Le MC ne le comprend qu'à la fin et je ne l'ai tout à fait compris qu'en même temps que lui, c'est la raison pour laquelle j'aime beaucoup la fin. Mais qu'est-ce qui les rend si différents l'un de l'autre ? Pourquoi Sawa serait-elle désespérée et le MC non ? A-t-elle raison de penser ça ? Elle a raison, et la cause est simple : comme en témoigne le dernier chapitre (qui n'était pas nécessaire à la compréhension à mon avis mais c'est une confirmation indéniable qui coupe court à toutes les hésitations), elle est authentiquement, cliniquement folle. Je n'y connais rien en psychiatrie, mais je pense qu'il s'agit d'une forme de schizophrénie. Sa perception du monde est faussée, tout ce qu'elle dit pendant le manga est irrationnel, elle est désespérément folle alors que le MC est seulement un peu différent.
Pendant plusieurs années, il n'arrivera pas à quitter cette illusion qu'il était différent comme elle, qu'il pouvait quelque chose pour elle, et il vivra dans le souvenir nostalgique de leur relation et dans l'incompréhension de l'acte final de Sawa. Tout change quand il rencontre la troisième fille qu'il va séduire sans renoncer à sa différence mais sans persister dans l'isolement. Il va comprendre qu'il peut être lui aussi normal, même s'il a une passion visiblement rare dans son milieu (la littérature), et enfin abandonner son schéma idiot qui lui servait de carapace pendant l'adolescence. Vient mon passage préféré : il retourne voir Sawa qui n'a quasiment pas évolué contrairement à lui et, après une nuit de chahut qui fait écho au chahut de leur adolescence, elle lui dit de ne plus revenir et de faire sa vie, parce qu'il n'est pas comme elle.
Il faudrait encore parler de Saeki et de son amie Kinoshita qui vont subir très malheureusement les conséquences des erreurs du MC, ce sont deux très bons personnages, mais l'essentiel est là : un MC qui ne trouve pas sa place et cultive sa différence, il croit à tort pouvoir aider une fille vraiment différente (puisque folle) et persiste dans cette voie malgré l'échec sans jamais trouver de satisfaction, il met beaucoup de temps à s'en sortir mais devient finalement normal pendant qu'elle reste dans sa situation désespérée dont personne ne peut la sortir, et en tout cas dont le MC n'essayera plus de la sortir.