C'est donc ça ce manga si profond et percutant dont on m'aura longtemps rabattu les oreilles ? Celui contant les tourments d’un collégien qui vit, à son échelle, un soupçon de débauche baudelerienne. Ou tout du moins qui le croit. Car il se fourvoie ce bon garçon. À moins que ce ne soit son auteur qui, décidément, a une bien piètre opinion de Baudelaire.
Le personnage de Nakamura est trop déluré pour être crédible. Il est mal amené dans sa conception et se veut une figure diabolique forcée. Intéressante à certains égards – certainement pas tous – mais dont le caractère vraisemblable, pour ce qui est de sa personnalité, est tout à fait contestable. L’excentricité du mal va ici trop au-delà de ce qu’on peut attendre d’une psychopathe. Elle est faussement spéciale et, pour cette raison, elle est finalement spécieuse et sans intérêt. Nakamura est inabordable car, en définitive, il n'y a rien de tangible chez elle à aborder. Le souci étant qu'elle constitue le cœur nucléaire de l'œuvre, celle autour duquel gravite le microcosme du manga. C'est dire si l'équilibre du cosmos est précaire.
Et ces tourments, chez les Japonais, n’ont l’air de tenir qu’à un élément central. J’en avais déjà soupé avec La Fille de la Plage, Onani Master a poursuivi dans la lignée ; même approfondi (si j'ose dire), ce sujet de la perversion sexuel en devient lassant. Finalement, Hiroya Oku, en tant que pervers notoire, a été à son corps défendant un meilleur sujet d’analyse relatif aux frasques libidineuses en étalant impudiquement son œuvre.
Le lecture, bien qu’aisée – la mise en scène rend tout très facile à suivre – a quelque chose de frustrant dès lors où on se rend compte que tout ce qui se passe n’est qu’une succession de délires obscènes et débraillés mis bout à bout. Ça n’est pas subversif, c’est simplement vicieux pour la finalité de l’être.
Et qu’on ne s’y trompe pas, ce qui tient au vice, au désespoir ou encore à l’horreur humaine, je me roule dedans avec plaisir. Mais à condition que la qualité soit au rendez-vous. Les Fleurs du Mal n’aborde pas le sujet de la perversion de manière frivole ou immature, mais le traitement du sujet aboutit et se déroule sans finalité aucune. Être malsain pour la finalité de l’être tient de à la pose, et Dieu sait que Baudelaire n’était pas un poseur.
Mon expérience de lecture n’a pas été désagréable pour autant, les idées restent correctement établies et bien développées, mais ces tourments… ils sont trop gratuits pour être précieux. D’autant que bon nombre d’entre eux, si ce n’est la quasi-intégralités, auraient pu être évités s’il avait pris la peine de se débarrasser des sous-vêtements volés.
La séquence de folie, la nuit, dans l’école n’a strictement aucun sens. Personne ne perd prise ainsi et aussi rapidement sans aucun raison valable. L’emprise de Nakamura n’était certainement pas aussi prégnante pour que Kasuga dérive si facilement. Le scénario porte ses protagonistes bien trop opportunément pour leur faire faire ce qu’il souhaite. À moins que le lecteur ne ferme les yeux pour s’y laisser prendre, ni la folie ou la corruption qui la génère n’a d’origine vraisemblable ou même de propos défini. La perdition se poursuit quand le commande le récit et non la cohérence.
Le fait que Saeki, après avoir compris que Kasuga était le pervers et le vandale, ne souhaite pas lui tourner le dos au prétexte qu’elle est sortie avec lui deux jours, contrevient à toutes les normes élémentaires se rapportant au bon sens. Pire encore, elle se dit heureuse qu’il lui ait volé ses sous-vêtements pour fantasmer sur elle. Qui irait croire ça ? Saeki est aussi exagérément pure que Nakamura est démesurément chaotique. Leur personnalité comme leurs actes ne convainquent pas. Tout est trop facile. Et c’est ça qui déroute avec les Fleurs du Mal : le vice ne s’accomplit ici que dans la facilité de l’écriture de son auteur. Ce qui advient n’advient que parce que le script laisse faire. Des personnages pétris de consistance et à même de s’adonner à la cohérence ne seraient pas laissés glisser dans la bassesse humaine aussi rapidement.
Tout élan de réflexion – ou du moins ce qui s’y apparente – est usé en pure perte. La réponse c’est toujours la même «C’est parce que nous sommes des pervers». La déchéance conceptuelle niveau maternelle, c’est dans ce manga que vous la trouverez. Le principe a l’air foireux et, quand il vous parvient à la lecture, vous verrez qu’il l’est encore plus encore.
Les Fleurs du Mal m’évoque la présence d’une arme létale entre les mains d’un abruti. J’entends par là qu’une personne ouverte à l’art et la littérature pourrait trouver le moyen de ressortir grandie et sublimée d’une pareille poésie. Shûzo Oshimi, en ce qui le concerne, n’a trouvé qu’une abjection à pondre en réponse. Qu’on se le dise, l’œuvre est un glaviot craché involontairement à la gueule de Baudelaire. À lire Les Fleurs du Mal de Oshimi, on se piquerait d’envie de proscrire l’accès à la littérature européenne aux Japonais. Quand on voit ce qu’ils font rien que quand ils ont la Bible en mains, il y a déjà de quoi avoir des suées. Alors la poésie française, très franchement.
Il est des auteurs Japonais ouverts à notre culture et à même de l’appréhender comme il se doit, Oshimi n’en est clairement pas.
La corruption en étendard, la perversion pour cheval de bataille et tout ça pour quoi ? Pour se vautrer dans un triangle amoureux qui ne dit pas son nom au milieu de ce qui s’avère être des jeunes filles éplorées qui ne s’assument pas comme telles. Que c’est triste. Que c’est commun.
Et ce qui suit ne grandit certainement pas l’œuvre. J’avais asséné que le traitement de la thématique n’était pas immature, mais le lâcher prise de l'auteur me permet de revenir sur mes propos. C’en est grotesque avec, par-dessus, un vernis supposément dérangeant et sérieux qui ne prend pas. Ça se veut perturbant, mais ça tient du registre de Denis la Malice, la perversion libidinale puérile en supplément. Et le pire, c’est que ça se fourvoie dans une déchéance scénaristique telle qu’on jurerait contempler le script d’un film d’auteur issu du cerveau embrumé d’un cinéaste français de la nouvelle vague.
Ne parlons pas de leur projet pour le matsuri du mois d’août ; un pet foireux annoncé depuis plusieurs chapitres comme grandiose. J’étais gêné pour l’auteur rien que de lire ce à quoi tout ça avait abouti.
Et je remarque, à l’occasion de cette lecture, que le schéma narratif – notamment l’ellipse – est employée dans les mêmes circonstances que dans les Liens du Sang du même auteur. Ce qui m’incline à relativiser la déjà très relative appréciation que j’avais de l’œuvre.
La deuxième partie flotte mollement et sans excès. Elle n’est pas fascinante, s’avère assez convenue par moments, mais nous délivre de l’exubérance absurde de la partie précédente. La fin reste acceptable, mais la toute fin est déplorable. Nakamura restera vraiment un personnage creux qui, jusqu’au bout, aura vainement cherché à mimer la profondeur.