Un dessinateur sacrifié à une parodie de scénario

Je ne suis pas fan des mangas érotiques et sombres, mais j'ai apprécié le génie artistique de Ayako de Tezuka, par Lady Snowblood sur un scénario de Kazuo Koike, j'ai apprécié des histoires courtes du gekiga de Yoshihiro Tatsumi et Yoshirau Tsuge, puis même si j'ai un problème avec la compassion pour une héroïne très discutable j'ai été tout de même fortement impressionné par la poésie et la mise en scène narrative de Fleur de l'ombre. Du coup, j'ai essayé les deux volumes des Fleurs du mal où je retrouve le génie du dessinateur Kamimura. Il était le scénariste et le dessinateur des Fleur de l'ombre, le dessinateur de Lady Snowblood et ici il laisse le scénario à Hideo Okazaki que je ne connais pas, mais avec lequel il collabore pour la troisième fois.

Hélas, quelle déception ! A part la fin qui a un côté chute spectaculaire et inattendue, le manga n'est qu'une parodie de scénario de gekiga pornographique. C'est clairement de l'alimentaire.

On a droit à une débauche de violence, mais pas ce n'est pas vraiment marquant, c'est une violence uniquement concentrée sur les abus sexuels d'un personnage dans sa propriété. Une sorte de violence retirée de tout, et ça n'impacte pas du tout le lecteur. Une violence dans une retraite pourrait être impactante, mais il y a dans la propriété des tonnes de gens qui circulent librement. Et troisième raison pour laquelle ce n'est pas impactant, les personnages acceptent les pires bassesses sur eux comme sur autrui, voire sur leurs proches, amoureux. On suit des personnages psychologiquement incohérents et qui, de toute façon, ne souffrent pas tant que ça des sévices puisqu'ils y reviennent volontiers.

Il faut ajouter à cela une intrigue politique mal ficelée. On annonce une guerre avec un pays maladroitement nommé G (point G ?) et c'est abandonné en cours de route, trait à la marge en quelques cases secondaires au récit.

Le début pourrait sembler intelligent, on a une introduction par le procès du personnage maléfique principal, procès qui tourne court et qui consacre son impunité, sauf que c'est branché malhabilement sur la corruption politique et les révélations des médias.

Le gars est accusé d'avoir tué 854 femmes et reconnaît ses crimes et les tortures commises, il est libéré par appui politique et après on nous vend qu'on n'a pas de preuve contre lui, même si c'est de notoriété publique qu'il a tué 854 femmes. il a même avoué pendant le procès. Pire, on a le délire d'un ancien grand seigneur du Japon issu d'une lignée de plusieurs siècles qui a organisé un réseau sur tout le Japon et 854 femmes ce n'est qu'une partie des femmes qu'il a enlevées, plein d'autres encore en vie sont dans sa propriété. Il est aussi dans un trafic de drogues à partir de fleurs avec des plantations dans le Japon, il a un million et demi de disciple apprend-on au détour d'une case. Les perles de la connerie, on les enfile, mais sans arrêt.

Le plan politique, oublions-le, après cette dernière remarque. L'histoire aurait dû se dérouler dans une époque plus ancienne, où le tyran influent impuni était concevable, mais dans le contexte alors contemporain des années 1974 et 1975 le récit ne prend pas.

Mais il ne prend pas non plus au plan des sévices sexuels entre personnages. On a une femme vierge de 19 ans qui se fait enlever peu après ses fiançailles. Le seigneur, libéré de prison, le procès étant reporté, est censé se faire discret (ce qu'il ne fera pas), mais il continue de tuer, d'avoir plein de femmes chez lui, et il enlève cette vierge au visage qui lui paraît prometteur pour en faire sa femme et une reine du vice, lui étant l'empereur.

La femme se fait abuser et torturé comme on pourrait voir ça dans les reportages sur des tueurs en série qui organisent des séquestrations sur de la longue durée, sauf qu'il y a des centaines de femmes qui sont là, avec un sort aussi cruel qui les attend même si pour une durée moins longue, et des hommes. Le mec fait ses horreurs. Il plie la volonté de la femme, il la libère, elle revient. Okazaki et Kamimura ont de drôles de croyances sur la psychologie humaine. D'ailleurs, ils croient aussi et c'est pareil dans Fleur de l'ombre que les femmes violées prennent du plaisir à avoir des relations sexuelles en devenant méchantes. Ben tiens !...

Mais, ça ne s'arrête pas là. La femme donc était libérée, sur le point de parler au téléphone à son fiancé, elle raccroche, elle revient faire l'esclave sexuelle et vomir en voyant des viols finissant en meurtres gores. Et pour vous dire à quel point c'est débile, de temps en temps, elle pousse le cri : "Mais c'est cruel !" Elle réagit comme si rien n'était arrivé, comme si elle n'était pas détruite alors qu'on nous a raconté sa destruction.

On atteint des sommets dans la connerie et l'invraisemblable. Le fiancé qui est journalise finit par se décider à pénétrer dans la propriété pour retrouver celle qui a été enlevée, puisque la rumeur est unanime depuis le début à dire qu'elle est là. Il se fit attraper, et il est transformé en femme qui se fait violer, et lui en quelques mois on le transforme en travesti qui aime ça. Et, quand il se fait prendre, l'héroïne lui demande de se transformer en femme parce qu'elle veut qu'il vive. C'est tout le temps des conneries de cet acabit pour justifier des scènes de sexe maléfiques. Les raccords sont tout le temps aussi débiles.

Le personnage démoniaque se venge parfois, d'une femme qui le trompe, d'un truc sexuel qui lui échappe, mais il se vante de ne pas être jaloux de donner sa femme à cinquante hommes pour mieux la voir comme un objet : ben forcément, c'est Kamimura qui a des émotions, donc il ne sera pas jaloux de dessiner la femme passée du maître accapareur à un groupe de cinquante hommes, ça ne change rien pour lui, l'auteur. Bref, le seigneur n'est pas jaloux, c'est seulement parce que ça justifie le passage d'un scénario sexuel à un autre, il faut arrêter les lecteurs pour des ânes.

Puis, le seigneur, je veux bien qu'il y ait le fantasme de l'ardeur sexuelle, mais baiser quarante fois par jour pendant trois mois, il vient d'où le sperme ? Je ne sais pas, je pose la question...

J'ai la même réprobation morale pour Fleur de l'ombre, Kamimura est un dessinateur de génie, très poétique, mais c'est un vicieux qui épanche ses soifs de méchanceté dans son récit. Toutefois, dans Fleur de l'ombre, il y a une poésie qui se dégage, il y a une finesse de traitement qui fait ressentir des émotions, il y a un sujet qui choque, le contrat de soumission de la femme entretenue, mais on ressent l'intensité du récit, ses violences. Là, Les Fleurs du mal, lire ça ou autre chose, ça fait le même effet. il y a beau y avoir des scènes atroces, du sexe, c'est une lecture qui laisse complètement de marbre. Il y a bien quelques dessins géniaux qui frappent l'attention. Je ne sais pas le kimono avec les grues pendu derrière la femme à genoux au sol, ou bien dans la salle de torture le dallage par cercles concentriques, il y a aussi un très beau kimono avec des motifs ondulés teint en noir. On a aussi la photo initiale de la femme de 19 ans avec la manière très subtile de placer la pupille vers la paupière du haut allongée, ce qui crée un vrai effet du regard. Dans les dessins, il y a quelques chose, pas autant que dans Fleur de l'ombre, mais quand même ! En revanche, le récit, c'est lamentable. Il y a même des ellipses un peu brusques parfois. Après, au plan du scénario, il y a les idées hideuses, et on a surtout le fait que les fleurs représentent des vagins et à un moment donné la collection de vagins en bocaux, pris sur les femmes assassinées avant qu'ils se détériorent. Voilà, c'est le cirque de l'horreur auquel on a droit pour le frisson. Le sang qui coule du sexe féminin soit par menstruations, soit par coups de poignards, à un moment donné, ça tourne à vide, surtout quand on lit plusieurs mangas de cette époque, c'est vraiment un lieu commun assez limité. On va acheter un manga pour voir quinze fois cette image choc, mais le prochain manga on vous promet que ça y sera soixante fois...

Parmi les dessins marquants, impossible de passer à côté de celle de l'ancienne femme officielle devenue chien. on a une image de tête de chapitre avec une tête de chien sur son corps, chien qui pleure abondamment. Là, effectivement, dans ce lot d'atrocités déplaisantes, on a au moins la perle artistique, mais le manga lui-même non ça ne va pas. Ce n'est que des conneries trop grosses pour intéresser un imaginaire. Certes, je n'apprécie pas les récits pervers spécialement, mais c'est un fait que je perçois l'intérêt artistique de Fleur de l'ombre, alors qu'ici je ne suis même pas dérangé, je trouve ça nul de chez nul.

davidson
3
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le 26 janv. 2024

Critique lue 39 fois

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