Les Mauvaises Gens : Une histoire de militants par Rohagus
Dans la lignée de "Rural !" et de "Un homme est mort", Davodeau s'attache avec réussite aux reportages/témoignages en bande dessinée sur le milieu ouvrier et rural français. Ce fut pour moi une lecture intéressante et instructive. Je m'y suis d'autant plus intéressé que je passe régulièrement dans la région d'Angers dont les Mauges, décor de cet album, sont proches.
Par le biais de cette lecture, j'ai découvert un pan de l'Histoire de France que je connaissais mal, du moins pas de ce point de vue aussi authentique et spécifique. J'ai ainsi appris l'origine de certains syndicats et de leurs membres de l'époque. J'ai appris le parcours de certains de ceux qui y ont adhéré, leurs raisons, leurs motivations et leurs passions. J'en ai appris un peu plus sur les conditions de vie et de travail dans une région à la fois rurale et ouvrière. Et j'ai aussi découvert à quoi cela peut ressembler de vivre sa jeunesse dans une famille militante ce qui est très loin de ce qu'a pu être ma propre jeunesse.
Davodeau raconte cela avec une certaine maestria narrative. Son dessin ne me charme pas plus que cela, mais il sait vraiment bien l'utiliser pour raconter ses histoires. C'est fluide, parlant et efficace.
Je n'ai cependant pas été totalement convaincu.
Premièrement parce que cette lecture m'a paru un peu longue, je me suis essoufflé avant la fin et j'ai dû lire l'album en deux fois, sans réellement accrocher à la reprise.
Ensuite, le message n'est pas toujours très bien passé pour moi, certains passages m'ayant laissé circonspect. Comme dans "Rural !", sous la forme d'un témoignage impartial, Davodeau choisit en fait son camp sans ambigüité et se fait lui aussi militant, voire franchement manichéen.
Je l'ai ressenti fortement au moment où il rapporte l'interview de trois ouvriers qui viennent manifester pour aider la société qui vient tout juste de les mettre au chômage : il rapporte les déclarations de ces derniers qui expliquent faire cela dans l'espoir d'être réembauchés et laisse entendre juste après que ces comportements sont tellement "édifiants" qu'il ne ferait pas de commentaire. Dommage car j'aurais bien aimé comprendre en quoi c'était tellement édifiant : on peut les comprendre, ces trois personnes, et même si leurs maigres espoirs ont peu de chance d'aboutir et font le jeu de l'entreprise, Davodeau les présente implicitement trop en "social-traitres" à mon goût sans nuancer son propos.
Dans la même veine, j'ai tiqué sur la citation du père de Davodeau qui dit qu'il a "toujours combattu ses patrons" quels qu'ils soient, déclarant du coup de manière implacable une vision caricaturale de lutte des classes, de gentils ouvriers contre salauds de patrons riches et exploiteurs. Pas de nuance de nouveau et aucun placement possible de "l'autre côté de cette barrière" ainsi érigée comme fondamentale. Ca ne donne pas envie d'être employeur, mieux vaut rester du côté des employés et laisser les méchants créer leurs sociétés pour ensuite les combattre, ces salauds. Je caricature également, évidemment.
Bref, même si certaines parties manichéennes du message de cet album m'ont laissé circonspect, j'ai lu ce reportage et ces témoignages avec intérêt et j'y ai appris pas mal de choses. Une bonne et instructive lecture.