Les Millésimes - Châteaux Bordeaux, tome 4 par Eric17
Eric Corbeyran est un de mes auteurs de bandes dessinées préférées. Il est particulièrement productif et possède une forte capacité à faire exister des univers très différents. Châteaux Bordeaux est une saga qui s’inscrit dans l’univers viticole. Il y fait exister le destin d’une jeune femme, Alexandra, qui cherche à faire exister à nouveau le domaine familial. Le quatrième tome est apparu le 4 septembre dernier dans les librairies. Edité dans la collection Grafica chez Glénat, il s’intitule Les millésimes. D’un format classique, il coûte 14 euros. Comme pour les précédents opus, la couverture est habitée par l’héroïne. On la découvre ici dans une cave, un verre la main. Elle donne l’impression de vouloir trinquer avec le lecteur. Tout un programme…
La quatrième de couverture offre la mise en bouche suivante : « Alexandra Beaudricourt a repris en main l’exploitation familiale après la mort de son père, malgré la réticence de ses frères et surtout en dépit de son absence totale de connaissances en matière de viticulture. Une énergie et un enthousiasme hors du commun additionnés à un amour immodéré pour le bon vin sont ses principaux atouts. Suffiront-ils à lui permettre de surmonter les coups tordus du milieu et les vicissitudes du marché ? »
Châteaux Bordeaux s’inscrit dans la lignée de grandes sagas familiales telles que Les Maîtres de l’orge par exemple. La différence est qu’elle ne traverse pas les générations et se concentre sur le destin d’un seul protagoniste. Néanmoins, à travers l’histoire, l’auteur arrive à nous faire découvrir le passé du domaine viticole et de la famille Beaudricourt. La structure narrative fait qu’il est indispensable d’avoir lu les trois premiers épisodes pour ne pas se sentir perdu en découvrant Les millésimes. L’intrigue se déroule de manière classique et s’adresse à un public large.
Quand elle décide de prendre en main l’entreprise familiale, Alexandra revient de plusieurs années aux Etats-Unis. Elle n’est pas du tout familier des us et coutumes locaux et découvre que l’univers viticole est un véritable panier de crabes. Cet aspect est habilement décrit par Corbeyran. J’ai eu le sentiment qu’un petit groupe de personnes font la pluie et le beau temps quant à la côte des crus locaux. En tant qu’étrangère au milieu, Alexandra souffre. Chaque nouvel espoir est souvent suivi par une désillusion imprévue et souvent douloureuse. Corbeyran utilise également de manière pertinente les arcanes administratives que sont la gestion d’un domaine. A aucun moment, il décide de rendre les choses plus simples pour laisser uniquement la place à une jeune fille qui arrive à faire un vin merveilleux. En ne négligeant pas les contraintes juridiques, financières et humaines, il rend la trame crédible et offre une tension dramatique plutôt réussie.
Le tome précédent s’était conclu par une vision positive. Alors que l’héroïne était au fond du trou, elle se voit aider par son frère qui lui recrute une équipe compétente pour faire naître de ses vignes un vin de grande qualité. La conséquence est que ce nouvel opus nous fait découvrir entre autre le travail de cette nouvelle équipe et apporte au lecteur un vrai cours de viticulture et d’œnologie. Une scène de dégustation nous permet de comprendre tous les aspects qui influencent la qualité d’un vin. Il nous est listé les différentes erreurs qui ont fait des dernières cuvées des échecs. Ce moment est envoutant. Bien que personnellement je ne boive pas de vin, j’étais fasciné par le cours déroulé dans cette cave.
Cette série a nécessité une forte et dense recherche documentaire. Le monde du vin et de l’œnologie n’est pas aisé à comprendre et à maîtriser. Les auteurs se sont investis de manière sérieuse et appliquée pour offrir une narration crédible. Certes, à certains moments, cela offre des scènes au contenu magistral. Néanmoins, l’intérêt l’emporte bien souvent sur ce léger défaut de forme. A aucun moment, je n’ai eu le sentiment que Châteaux Bordeaux se contentait d’être un cours universitaire sur le vin, sa conception et son environnement. Comme toute saga, la série offre son lot de trahisons, de drames et de secrets. Tout cela reste classique mais est plutôt bien amené. L’empathie générée par l’héroïne fait que je me suis laissé prendre sans mal par cette vieille recette sérieusement cuisinée.
Par contre, je ne suis pas totalement sous le charme du trait d’Espé. Les planches sont travaillées. Le travail sur les décors est évident. C’est important quand une histoire s’implique dans l’univers local. Les personnages sont suffisamment bien dessinés pour que le lecteur n’ait aucun mal à les différencier et à se les approprier. Néanmoins, je trouve qu’ils manquent de personnalité et que les dessins sont froids. Je trouve que les illustrations se contentent de servir de support au texte et à la narration. Je regrette que qu’ils ne subliment pas la trame. La thématique et l’héroïne se prêtent à des envolées sensorielles et émotionnelles. Hélas, le travail d’Espé reste en retrait dans le domaine.
Pour conclure, Les millésimes poursuit avec qualité les aventures d’Alexandra. L’héroïne est attachante et génère une réelle curiosité chez le lecteur quant à la réussite de son entreprise. Les personnages nous sont désormais familiers et c’est donc avec un vrai plaisir que je les ai retrouvés. La dernière page fait naître un vrai suspense pourtant imprévisible. Tout est donc fait que je sois attentif à la sortie du cinquième tome dans les mois à venir. Mais cela est une autre histoire…