Le récit du combat des ouvriers horlogers de LIP à Besançon en 1973 est ici repris dans une bande dessinée qui retrace l'éveil d'une jeune mère au foyer à l'action militante et à la solidarité.
Il était nécessaire qu'une oeuvre de fiction retrace ce combat, qui est surtout évoqué aujourd'hui dans les formations en management, qui reprennent souvent avec délectation la phrase de Pierre Messmer, ministre au moment du conflit : "Lip, c'est fini !". Avec pour principale morale : aimer son travail et vendre un produit fait avec coeur, c'est has been, coco.
Et pourtant, à lire cette bande dessinée, cette phrase est très anecdotique et fausse. Car elle continuera de faire rêver, cette histoire d'une usine dont la direction s'attelait depuis plusieurs années à saboter les résultats pour pouvoir la fermer, et dont les ouvriers, par leur solidarité et leur détermination, vont arriver à résister en s'attirant la sympathie de la population.
On retrouve tout ce qui rend poignant les combats sociaux : l'enjeu d'arriver à maintenir l'unité et le moral des troupes, la beauté des travailleurs qui auparavant ne se connaissaient pas vraiment et vont devenir une famille, qui défie l'ordre établi, avec des épisodes très marquants : la séquestration des liquidateurs venus faussement négocier, la saisie du trésor de guerre des montres, les jeux de chat et de souris avec les policiers, la solidarité face aux problèmes personnels des uns et des autres, les moments d'éducation populaire, la bêtise fourbe de la répression qui parvient à déloger les ouvriers de l'usine, le soutien des populations qui viennent acheter des montres LIP fabriquées hors-direction, la mise en place d'une autogestion, les tournées pour voir d'autres conflits (le Larzac de Bové), et cette très belle phrase "l'usine n'est pas un bâtiment, c'est là où sont les ouvriers".
Et puis le moment où ça se délite. La CGT qui ferme le ban quand un accord pas trop moche se profile, les motivés qui ne veulent pas voir ce beau rêve se finir, etc... C'est vraiment un cas d'école.
On appréciera ou pas que le conflit soit raconté à travers le destin d'une ouvrière fictive, Solange, mère effacée confrontée à un mari égoïste et réactionnaire, et se trouve confrontée à la condition de maman seule au début des années 1970. Puis qui va se découvrir une vocation pour le reportage photographique. Je n'ai pas trouvé ça cliché, après tout Germinal fait pareil et c'est toujours la même histoire sans cesse recommencée. Les réalités psychologiques, la civilisation matérielle de ces années sont bien rendues : les 4L, les albums de Paul Simon, les artistes qui ne craignent pas de s'engager pour soutenir des conflits sociaux...
C'est vraiment une bande dessinée émouvante. La préface de Mélenchon et la postface de Claude Neuschwander, le patron qui reprend l'affaire en 1973 sont touchantes et se complètent bien.
Et le constat est sans appel : LIP n'était pas condamné à fermer en 1975, on l'a sciemment assassiné pour le symbole de solidarité, de ténacité et d'autogestion qu'il représentait et qui inquiétait cette France qui dit adieu aux Trente Glorieuses.
A nous de faire vivre ce symbole.