Un trousseau de clés qu'on ne manquera pas de tourner et retourner dans les deux sens.

Wow !

J'achève ma seconde lecture de cette épopée incroyable et je suis encore plus soufflé que la première fois.

Locke & Key c'est l'histoire d'une maison sur la côte est américaine. Dans cette maison il y à des portes, elles ont des verrous. Dans cette maison, il y a des clés. Locke & Key c'est surtout l'histoire d'une famille. De génération en génération, ils/elles ont utilisé ces clés qui leur octroient des pouvoirs. Par exemple, passez une porte ouverte avec la bonne clé pour vous transformer en fantôme et alors, invisible, vous pourrez observer tout ce qui se passe aux alentours sans vous faire remarquer. Une autre vous permettra de vous rentrer des choses dans le crâne, façon I know kung-fu dans Matrix, ou bien de vous vider la tête. Et plein d'autres mais je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler, la découverte du fonctionnement des différentes clés participe grandement au sel de l’œuvre.

Quand notre histoire commence, il y' à deux frères. L'un d'eux, Duncan, vit dans la maison, l'autre, Rendell a fondé une famille loin de là, à San Francisco. Une famille sur laquelle la tragédie s'abat. Sam Lesser, loser pathétique sociopathe désaxé par la vie tout droit sorti d'un roman de Stephen King, le tue. Laissant sa femme veuve et victime de viol (ce n'est pas une série à mettre entre toutes les mains, malgré le jeune âge des protagonistes il y' à des thèmes très durs et aussi une dose limitée mais non négligeable de gore) et ses enfants orphelins de père. Ils rejoindront alors Duncan à Keyhouse, la fameuse maison, dans la petite ville de Lovecraft (ça ne s'invente pas) Massachusetts.

Le meurtre de leur père n'est pas un hasard. Une entité maléfique rode, elle a besoin du pouvoir de la maison pour renaître, croître, faire ses trucs d'entité maléfique. Les adultes sont aveugles au pouvoir des clés (dans le style des moldus d'Harry Potter, ce n'est pas qu'ils ne peuvent pas voir la magie, c'est qu'ils ne la remarquent habituellement pas) alors les enfants : Bode 6 ans (the best), Kinsey 16 ans et Tyler 18 ans vont devoir défendre leur maison, leur famille, leur nouvelle ville. Mais ils vont aussi pouvoir jouer avec ses clés, vivre des choses incroyables car là où les adultes jouent pour gagner, les enfants jouent pour jouer.

Locke & Key c'est avant tout une série sur l'adolescence (si vous aimez les histoires sur cette période charnière, foncez!) , sur ce que c'est de grandir ; l'action se déroule pendant à peu près un an. C'est commencer à avoir des responsabilités d'adulte pour Tyler, être au bord du gouffre qui sépare l'enfance de l'âge adulte, comme une déchirure, c'est découvrir le lycée et ses relations intenses pour Kinsey, apprendre l'importance de la colère et de la douleur qui nous rendent humain et c'est découvrir un incroyable terrain de jeu pour Bode, personnage incroyable et mélange explosif entre un Dewy de Malcolm (en quand même bien moins teubé) et Calvin de Calvin & Hobbes. D'ailleurs, Joe Hill (scénariste) et Gabriel Rodriguez (dessinateur) se permettent un magnifique hommage de quelques pages à Bill Waterson dans une alternance (une page sur deux) de styles dans laquelle se chevauchent cette magie infantile Wattersonienne et la réalité plus dure, triste, violente de l'âge (presque) adulte.

Parlons en du style graphique. C'est beau, le nombre de détails dans les planches est incroyable, c'est réaliste mais coloré, à la fois sophistiqué et un poil (un soupçon, un doigt) cartoonesque au niveau des couleurs, un certain équilibre est trouvé qui colle parfaitement à la fois à la fantaisie de cette histoire en ne dénotant pas sur les passages les plus violents/durs/cruels. Car de la cruauté il y en a dans ce comic-book, entre celle des forces du mal et celle qu'on s'inflige entre gens qui s'aiment pourtant.

Plus en avant, comme je le disais, l’œuvre aborde des thèmes durs : relation familiale compliquée, alcoolisme, violence parentale, violence conjugale, viol, racisme, homophobie, psychophobie, beaucoup y passe dans cette série qui n'hésite pas à dresser un certain portrait de la société Américaine, une Amérique diverse en couleurs de peau, sexualité et (timidement et peut être maladroitement) identité de genre. C'est les années Obama et ça se voit (avec tout ce que ça peut comporter d'angle mort sur la question sociale de classe malheureusement : plusieurs fois les moins "favorisés" sont ici montrés comme méchamment beaufs, racistes, homophobes, jaloux des aisés telle la famille protagoniste.. les bons personnages pauvres étant ceux qui arrivent à faire ami-ami avec les plus aisés au lieu d'être jaloux... bon... c'était il y' à dix/quinze ans, socialisme était encore un gros mot au parti démocrate). On est pas dans un roman graphique social/sociétal en soi, ce n'est souvent pas le focus de cette fantasmagorie mais Joe Hill n'hésite pas à (bien) aborder ces thèmes car c'est souvent les thèmes qu'on puise dans la réalité qui font les bonnes histoires.

Le découpage est très dynamique, très intéressant et recherché aussi avec certains passages qui voient s'écouler les jours assez rapidement, du style "un jour une case", les cases en question prenant parfois une page entière, des splash pages de grande qualité qui sont des œuvres en elles-même. On voit alors à un moment un mois entier s'écouler, un mois plein d'action et d'évènements qu'on comprend quasiment sans dialogues. Là ou d'autres séries en profiterait pour multiplier les aventures redondantes, les artistes ici savent être concis de la plus belle manière. Concision qui rend au final l'impact et la substance de ces aventures plus palpable que si elles avaient eu le droit à leur chapitre chacune. Le rythme est vraiment réfléchi, s'accompagnant parfois de "voix off" dans un tout assez musical.

Tous les personnages, jusqu'au plus secondaire, sont attachants et bien écrit. L'antagoniste malgré certains côtés émo/lip-piercing anneau qui ne manqueront pas de poser problème à certain (pas moi c'est mon côté d4rk) garde la dragée haute toute l'aventure en terme d'écriture. L'univers fonctionne, il est plein de possibilités. Son ancrage dans un temps long débutant à la guerre d'indépendance américaine élargit ses perspectives (dont certaines sont entrevues dans ce run puis explorées dans le spin-off Golden Age que je ne manquerais pas de chroniquer ici).

Je pense me refaire les 6 volumes incessamment sous peu. Peut être l'occasion de faire une critique tome à tome tant j'ai l'impression dans cette critique de n'avoir effleuré que la surface de l’œuvre.

Le seul bémol que je mettrais à cette saga c'est la densité des deux derniers tomes, avec beaucoup de choses qui se passent assez rapidement, ça me rappelle l'aligot, c'est délicieux mais on le sent passer, ça pèse un peu, quoi. Mais bon, il fallait bien conclure quelque part cette histoire qui ne manquera pas de vous faire lâcher quelques larmes à maintes reprises, surtout sur les deux derniers tomes sus-cités donc sûrement que le prix en vaut la chandelle. Et puis à titre personnel je suis un public assez exigeant sinon insatiable concernant les conclusions (et puis pour le coup, les toutes dernières pages sont vraiment fortes) donc que ça ne vous dissuade pas de découvrir cette série incroyable.

Et puis en vérité, c'est bien que cette série ait le bon ton de ne pas s'éterniser. Contrairement à (beaucoup trop) d'autres, elle ne s’essouffle pas.

Les 6 tomes se lisent en un peu moins de 10h de lecture, je dirais, le consommateur insatiable en nous pourrait en vouloir plus mais rendons nous à l'évidence, toutes les bonnes choses ont une fin, profitons du rêve tant qu'il dure.

JadenZ
9
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le 28 sept. 2022

Critique lue 33 fois

JadenZ

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