Ronimpressionnant !!!
Voilà ce que j'appelle une épopée monumentale. Une fresque inoubliable portée par un tandem atypique : le père, terrifiant ronin, et le fils, un concentré d'innoncence et de pureté qui erre sans...
le 3 déc. 2012
18 j'aime
1
Lone Wolf & Cub a su marquer et influencer bon nombre d’artistes contemporains. Adapté en série TV, pièces de théâtre et films, la série est à ce jour indiscutablement culte, outrepassant les frontières internationales. Quarante ans après sa conclusion ce manga est-il toujours aussi significatif ?
« Fils à louer, sabre à louer » tel est l'adage du duo insolite qui semble errer à la recherche de contrats d’assassinats. Un père et son jeune fils, tous deux livrés au destin qu’ils ont choisi de suivre par la force des évènements.
Lone Wolf & Cub se démarque par ce duo père-fils inhabituel et déroutant, le tout baignant dans un univers réaliste à l’ambiance sombre et dramatique. Immédiatement on peut ressentir un travail exemplaire sur la retranscription de cette époque. Les paysages, l’architecture, les vêtements ou encore les traditions sont superbement représentés, mais plus que cela, c’est toute la mentalité féodale et les codes complexes des bushis qui sont au coeur du manga. Les intentions des auteurs sont claires, créer une histoire la plus véridique possible se déroulant à l'époque Édo.
Ces derniers ne sont pas des inconnus, Gōseki KOJIMA, a été l’élève de Sanpei SHIRATO l’auteur de Kamui-Den, il travaillera avec des grands noms comme Ikki KAJIWARA l’auteur d’Ashita no Joe.
Quant à Kazuo KOIKE, il est l’élève de Takao SAITŌ l’auteur de Golgo 13 et co-créateur du courant gekiga. Il collaborera comme scénariste sur de nombreuses oeuvres comme Crying Freeman de Ryoichi IKEGAMI, Lady Snow Blood de Kazuo KAMIMURA. Il aura pour élèves Rumiko TAKAHASHI ou Tetsuo HARA pour les plus connus.
Nous découvrons ainsi Ogami Ito, arpentant par monts et par vaux le Japon en poussant un landau contenant son fils âgé de trois ans. Ogami est d'apparence miséreuse, tel un rônin en déperdition, il semble n’être que l’ombre de lui-même. Pourtant il est un assassin renommé dans tout l’archipel, il demande des sommes exorbitantes pour exécuter ses contrats avec pour seule condition : connaître la vérité. Cette recherche d’honnêteté est l’élément le plus important de son mode de pensée, malgré son choix de vie, il applique toujours les valeurs des bushis qui ont régi son existence.
Il faut savoir qu’Ogami n'est pas un simple va-nu-pieds, il était le prestigieux exécuteur du Shogun. Il a été destitué de son poste suite à un complot parfaitement orchestré par le clan Yagyu. La réputation funeste d'Ogami est connu dans tout le Japon, en plus d’avoir tout perdu, il est condamné à se faire seppuku. Plutôt que de se soumettre, il décide de dédier le restant de sa vie à sa vengeance, tant que notre assassin respirera, les Yagyu n'auront aucun repos.
Son fils l’accompagne dans cette vendetta, Daigoro comprend déjà les motivations de son père. Élevé dans la voie du bushido, il vit dans un quasi-mutisme et reste un enfant très docile qui ne pleure jamais. Pourtant malgré son jeune âge il est déjà autonome, capable de manger, se laver, s’habiller et de rester seul pendant plusieurs jours. Il a un sens de la justice développé et une volonté de fer, même les animaux sauvages ne lui font pas peur. Très intelligent il est capable de se sortir de situation difficile et de prendre des décisions si les évènements lui imposent. Véritable bushi en culotte courte, il est prêt à tout pour réaliser les missions confiées et applique tous les codes que son père lui a transmis.
Plus que le sang, c’est un lien vital d’amour et de mort qui les unis, nourri par le goût de la vengeance. Soudés par le même but, cette relation est plus forte que leur lien filial, les mots ou même le sang, ils vivent en véritable symbiose. Ce non-dialogue entre ces deux êtres est un élément-clé de leur potentielle réussite. Sans même un regard, ils comprennent que leurs vies sont moins importantes que leur mission vengeresse. Ogami n’impose pas ce choix à son fils, c’est Daigoro lui-même qui implicitement l’accepte et le comprend.
Cela se confirme lors des affrontements, le père n’hésitera pas à utiliser son fils comme appât pour réussir une mission et le fils acceptera son sort sans jamais aller à l’encontre de son père. Ne répondant pas aux chantages, le loup et son petit forment un duo extrêmement redoutable et dangereux. Ils ne reculent devant aucun danger quelles que soient les menaces et les intimations. Toutefois Ogami ne souhaite aucunement sa mort et il sera le premier à secourir Daigoro si cela ne nuit pas à son but ultime.
La horde des Yagyu donnera l’occasion d’avoir de nombreux affrontements, ici les combats ne s’étalent pas sur plusieurs pages. Lors de la phase finale, la tension monte, les adversaires se fixent, cherchent la faille et le coup fatal surgit. Les corps sont entaillés, les membres volent et le sang se repend sur le sol. Effectué par un geste parfaitement maitrisé et calculé, le résultat est immédiat est sans appel. Réglés en un seul coup, les échanges aux armes blanches sont brefs, rapides et efficaces. Les duels sont plus psychologiques que spectaculaires, proche d’un vrai affrontement entre experts où l’erreur ne pardonne pas.
Les adversaires étant variés, les auteurs en profiteront pour nous dévoiler tous les types d’armes qui pouvaient exister à cette époque, passant par les armes à chaines, à lames ou à projeter, sans oublier les premières armes à feux. Plus que les combats ce sont les stratégies d’attaques de chaque partie qui seront parfois détaillées. Les auteurs feront référence à Sun TZU (alias Sun ZI) avec L’art de la guerre, ou encore en citant Kongming (alias Zhuge LIANG).
Les croyances et les religions font aussi partie intégrante du folklore du titre. Ogami et son fils feront régulièrement escale dans des temples pour se reposer. Notre assassin suit les six bouddhas qui représentent les six voies à suivre. L’oeuvre est ancrée dans les coutumes bouddhiques et en fera de nombreuses références. Se voulant être une oeuvre représentative, les auteurs n’oublieront pas le christianisme et le bannissement de cette religion dans l’archipel, auquel le film Silence de Martin Scorsese s’attarde plus en détails.
Parmi les croyances bouddhiques la voie de l’enfer, le Meifumado, sera le concept le plus mis en avant. Le Meifumado est l’enfer bouddhique où séjournent les démons et les damnés, représenté par un démon à tête de boeuf et un autre à tête de cheval, Ogami se servira de ce symbole comme signe de contact. Symbolique forte pour marquer la décision irrévocable de notre duo et inspirer la peur qu’il peut s’en dégager.
Vivre dans le Meifumado comporte des sacrifices dont celui d’accepter la mort omniprésente. De nombreuses personnes essayent de dissuader Ogami de continuer dans cette voie, mais ce dernier fait la sourde oreille ne pensant qu’à sa mission personnelle. En empruntant cette route, il a tourné le dos à la voie du Bouddha. La peur de la mort n’existe pas, cette vie s’arrêtera qu’au dernier souffle de ceux qui l’empruntent.
Le mode de pensée d’Ogami est des plus mystérieux. C’est avant tout un expert dans son art, que ce soit au niveau des règles ou de sa pratique. Il a consacré sa vie au Bushido, de cette expérience il a acquis la patience et sa vengeance se veut réfléchie, placide et froide. C'est un être secret, il parle seulement si nécessaire et il ne laisse transparaître aucun sentiment sur son visage.
Depuis qu’il a choisi la voie du meifumado ce choix entre en contradiction avec ses convictions. Contre ses adversaires les plus respectueux il combattra selon les règles en vigueur, mais contre les autres il n’hésitera pas à user de piège et autres moyens détournés pour arriver à ses fins. Pour exemple il jettera son sabre sur l’adversaire ou usera d’armes à feu masquées dans le bandeau de son fils, ce qui aura pour effet de déstabiliser ses opposants.
Ce tiraillement entre sa quête personnelle et le bushido qui a toujours régi sa vie, est des plus passionnantes. Parfois il s’imposera lui-même une quête de justice pour un inconnu, et à l’inverse il acceptera des missions à la finalité douteuse. Cette confrontation idéologique remet en permanence le bien-fondé de sa motivation. Au vu des dizaines cadavres qu’il laisse dernière lui, combien devront mourir pour assouvir cette vengeance personnelle ? Pourquoi s’entête-t-il dans cette folie au vue de la puissance de l’armée des Yagyu ? Pourquoi emporter son jeune fils dans cette vendetta ?
Ogami et Daigoro évoluent dans le Japon du XVIIème siècle, et les auteurs n’oublient pas tous ce qui gravite autour de nos personnages. Chaque histoire amènera une nouvelle situation de la condition de cette époque. Le plus marquant étant la condition féminine, la prostitution ou le viol sont des passages quasi obligatoires dans leur vie. Même les femmes fortes doivent user de leurs charmes pour arriver à leurs fins. Impossible pour elles d’être samouraï ou juste de vivre tranquillement. Le manga met parfois en scène quelques scènes difficiles pour ancrer dans les yeux du lecteur leurs quotidiens incertains.
Cette époque se veut troublée par les guerres de clan et le contrôle du shogunat, sans être aussi détaillées que dans Kamui-Den, les histoires sont sur fond de révoltes paysannes, de la famine, de la pauvreté ou du diktat des impôts. La relation maître/esclave très forte et l’injustice est permanente. Dans cette volonté de réalisme les auteurs n’idéaliseront pas le Bushido comme un code inné, des nombreux hommes feront des erreurs d’étiquettes et les guerriers restent humains n’hésitant pas à fuir ou ne pas respecter les valeurs de cet enseignement.
La narration est composée de chapitres indépendants, mais reste définie dans une ligne temporelle. Au fil du récit, l’histoire principale prend le dessus pour proposer dans le dernier quart une narration quasi continue. Lone Wolf & Cub est un série qu’il faut prendre le temps de lire, chaque histoire apporte sa pierre funeste à l’édifice. Les histoires et leurs traitements sont très variés, certains chapitres suivront uniquement Daigoro attendant son père, parfois notre duo apparaîtra que quelques pages laissant un protagoniste lambda prendre la place d’un personnage principal temporairement, ponctué d’un chapitre sur le passé ou encore sur l’histoire de ses ennemis.
Les récits vont souvent à l’essentiel, nous sommes dans une narration à l’ancienne, la mise en contexte est directe, les pages sont assez denses en texte quand il faut expliquer le contexte ou uniquement composées d’images sans le moindre dialogue. Leurs conclusions sont souvent brutes voir abruptes, ce qui déstabilisera le lecteur d’aujourd’hui. Souvent il n’y a pas de morale ou d’explication, c’est au lecteur d’interpréter les évènements.
Dans le dernier tier de la série, nous pouvons noter une volonté des auteurs de vouloir allonger artificiellement l’histoire en ajoutant des contre-temps cataclysmiques remettant certains évènements à plus tard ou des personnages dur à cuire qui ne veulent pas passer l’arme à gauche. En dépit de ces ajouts, l’intérêt reste présent et l’histoire est de plus en plus prenante au fil des volumes et ce jusqu’à offrir une magistrale conclusion à cette saga.
Le tout est accompagné d’un dessin à la réalisation impressionnante pour l’époque. Dans un style réaliste Gōseki KOJIMA réussit à sublimer cette époque avec un trait brut, noir, et épais. Les effets d’ombres, nuances de lumière ou effets de vitesse réalisés à la main donnent un effet pur et vrai à la fois. L’effet de réalisme, digne d’un roman illustré, est saisissant et vintage à la fois, ce qui renforce l’ambiance ancienne du titre. Certaines scènes sont visuellement saisissantes. Toutefois au début de l’oeuvre certains actions peuvent être brouillonnes, certaines pages se retrouvent assez chargées et des personnages ont des proportions parfois bâclées, au fil des volumes le trait devient de plus en plus précis.
Comme vous l’aurez compris, Lone Wolf & Cub est un manga culte qui a su préserver son aura par son inventivité, sa variété d’actions et son réalisme. Il aura influencé de nombreux artistes comme Frank MILLER avec sa série « Ronin », Max ALLAN COLLINS pour son comic « Road to Perdition », ou Quentin TARANTINO dans « Kill Bill 2 » dans lequel la mariée et sa fille regardent Shogun Assassin qui est le remake des deux premières adaptations cinématographiques de la série.
Lors de la publication américaine de l’oeuvre, des artistes comme Franck MILLER, Bill SIENKIEWICZ ou encore Matt WAGNER signeront les couvertures des mangas. C’est d’ailleurs avec ces mêmes illustrations que l’éditeur Panini a choisi de publier l’oeuvre en France. L’édition est dans un format standard (env. 13x18 cm) avec une jaquette amovible. Le choix d’un papier un peu plus blanc et épais aurait été préférable mais celui choisi est correct, dans l’ensemble l’édition est bonne facture et l’impression de qualité. C’est regrettable de ne pas avoir inclus quelques pages couleurs au vue des nombreux chapitres colorisés d’origine. Mais saluons la prise de risque notable d’éditer une série de 28 volumes de 320 pages (soit l’équivalent de 45 volumes classiques).
L’adaptation est assez particulière, l’éditeur à certainement souhaité être au plus proche de la version d’origine et il a choisi de garder de nombreux mots japonais ce qui rend la lecture par moments assez difficile si le lecteur n’a pas le jargon de cette époque. Toutefois il essayera de combler ce choix par des mots en gras et un lexique en fin de volume. L’initiative est louable mais souvent il n’y a pas de lien entre les deux, c’est assez frustrant de ne pas comprendre pourquoi un mot a été mis en avant sans explication ou le contraire.
Toujours dans cette volonté de bien faire, l’éditeur ajoute des mini-dossiers sur l’histoire, la vengeance à l’époque féodale, la ville d’Édo ou encore sur la relation du samouraï avec la mort et le bouddhisme. Une excellente initiative que l’on peut noter. Toutefois le travail de l’éditeur s’amenuise suivant la courbe des ventes toujours plus descendante. D’ailleurs la série aura connu plusieurs augmentations de prix pour compenser cela.
À ce jour la série est quasi indisponible mais toujours officiellement en vente.
Conclusion :
Lone wolf & Cub est et restera une référence et un monument du manga. Il a tout simplement défini le genre et son influence continue en dehors de ses frontières natales. Une série indispensable à lire, espérons que Panini re-édite dans une nouvelle édition cette oeuvre magistrale.
Créée
le 5 déc. 2020
Critique lue 282 fois
2 j'aime
D'autres avis sur Lone Wolf & Cub
Voilà ce que j'appelle une épopée monumentale. Une fresque inoubliable portée par un tandem atypique : le père, terrifiant ronin, et le fils, un concentré d'innoncence et de pureté qui erre sans...
le 3 déc. 2012
18 j'aime
1
Tout d'abord, Lone Wolf & Cub c'est quoi? Plus qu'un manga, c'est un récit historique qui dépeint les traditions, les mœurs, les coutumes et la culture japonaise. Que ce soit la vie des paysans,...
Par
le 12 janv. 2011
8 j'aime
2
Lone Wolf and Cub n'est pas le premier rodéo auquel m'auront convié Goseki Kojima et Kazuo Koike. Peut-être le dernier en tout cas car, en deux œuvres à peine, je pense avoir discerné les contours de...
le 26 juil. 2020
5 j'aime
3
Du même critique
Cette oeuvre d’Osamu Tezuka a été publiée dans un sérieux magazine d’actualités qui s’ouvre au manga. Ayant connu, enfant, la guerre et ses conséquences, l’auteur nous livre un récit...
Par
le 7 oct. 2014
8 j'aime
3
Critique de l’intégralité de la série. Mizuki est considéré comme le maître des Yokaï, à juste titre. Mais, ce que beaucoup de personnes ignorent, c’est qu’avant d’en arriver là, Mizuki a eu une vie...
Par
le 18 juin 2014
6 j'aime
3
« Sex & Fury » est un recueil d'histoires réalisées dans les années 70 par le Maître du tatouage Bonten Taro. Celui-ci débute sa carrière vers 1950 par des shojos. En manque d'inspiration, il décide...
Par
le 18 juin 2014
6 j'aime