Il y a quelque chose de beau, de répétitif, de lancinant et de très sauvage dans la manière dont un couple se défait. Je ne pense pas que ce soit un scandaleux divulgâchage que de dire que c'est ainsi que se termine la saga sentimentale Lorsque nous vivions ensemble.
Après un deuxième tome sous le signe du drame, on reprend donc le canevas de vie quotidienne alimentée de petits riens du tome un, mais désormais cela ne fonctionne plus, ce qui pousse Jiro a une certaine cruauté. Les personnages vivent de plus en plus des émotions séparées : tentations pour Jiro, moment de détestation de soi pour Kyoko. Ils arrivent par moments à être à nouveau ensemble, dans la même case. Mais souvent, même leurs scènes à deux sont découpées en mettant chacun dans une case, en champ-contre-champ : désormais leur relation relève des faux-semblants ou d'une mauvaise comédie. Et quand le voile se déchire, il n'est pas possible de ne pas blesser l'autre. Jiro ne veut plus de Kyoko dans sa vie. Vulnérable, ayant besoin qu'on lui consacre beaucoup de temps, elle cherche de nouveaux moyens d'y trouver sa place, mais il les refuse. ça ne l'empêche pas d'avoir de beaux gestes pour elle, mais il doit aussi faire bouillir la marmite pour eux deux. La séparation finale prend place dans une ambiance douloureuse et grave, mais nécessaire, pas larmoyante. Les derniers soubresauts amoureux sont tout à fait crédibles et touchants. Lors du moment de la séparation, la même double-page se répète avec des variations d'arrière-fonds, à mesure que le soleil se lève, et le texte, en police de grande taille, tombe comme une sentence irrévocable.
L'ouvrage intercale par moments des histoires sombres, comme une histoire de couple utilisant une femme pour du sado-maso, sans que cela soit vraiment relié au reste. C'est le seul passage de la saga qui me semble inséré de manière forcée.
Lorsque nous vivions ensemble est une oeuvre personnelle, élégante, empreinte de beauté, de cruauté et de gravité. Il faut avoir souffert pour produire une telle oeuvre. Ce n'est sans doute pas pour tout le monde. Mais parfois, on a juste besoin de lire une histoire d'amour bien triste.
Synopsis.
Kyoko est revenue du sanatorium mais la vie ne peut reprendre comme auparavant. Jiro lui-même en est conscient même s'il se refuse à l'admettre. Il a percé cependant, car la période pendant laquelle il était séparé de Kyoko a bizarrement été prolifique et l'a vu beaucoup progresser en dessin. Comme ils ne font pas l'amour, Jiro va voir des prostituées. Leur amour repose sur des faux semblants. Jiro aide Kyoko a faire le deuil de l'enfant : ils font ensemble un livre illustré, qu'ils jètent à l'eau. Kyoko essaie de s'occuper mais ne parvient à rien finir, ce qui énerve Jiro. Un couple de jeunes voisins insouciants déménage pour pouvoir garder son chat.
Jiro, impatienté par Kyoko, sort boire une bière et propose un tour en barque à une belle inconnue, qui accepte. Kyoko a des pulsions de mutilation. Même s'ils ont des regains d'amour, ça ne marche plus : Jiro ne reste pas jusqu'au bout quand Kyoko lui propose de jouer avec des feux d'artifice ; ils se disputent même lorsqu'ils partent à la campagne pour dessiner. Le fait que Kyoko repeigne une porte sans l'autorisation du concierge déplaît à Jiro. Une ancienne camarade de sanatorium flippante passe chez eux, occasionnant un moment déplaisant. Kyoko apprend qu'elle restera stérile des suites de son avortement. Elle va voir une amie devenue grosse. Jiro, bizarrement, se met à avoir du goût pour les enfants. Il rentre tard, avec l'odeur d'une autre femme sur lui. Elle rentre chez ses parents, à Tottori, soi-disant pour une semaine, mais prolonge son séjour. Elle y est heureuse alors qu'elle détestait sa mère. Ils se revoient sur la plage, elle l'entraîne dans un cabanon abandonné où ils font l'amour très fort, tout en pleurant car ils savent que c'est la dernière fois. Ils se séparent, Jiro restant sur un banc. Kyoko ne parvient pas à dormir et vérifie qu'il y est encore : ils passent la nuit côte à côte, luttent pour ne pas retomber dans une attirance mutuelle. En guise d'épilogue, un an plus tard, on voit que Jiro mène une vie de bâton de chaise et ne s'est pas remis de la séparation. Il revient à Tottori, cherche Kyoko, qu'il croise dans un restaurant, souriante. Le soir, il l'agresse pour s'être remise de leur séparation, mais la mère de Kyoko le prend à part et lui explique : Kyoko est devenue la mère adoptive de la fille de son psychiatre. Elle va donc pouvoir accéder à une forme de maternité qu'elle recherchait.