Love in Vain par jerome60
Robert Johnson est une légende de la musique noire américaine. Le plus grand bluesman de tous les temps, un mythe vénéré par Hendrix, Clapton, Led Zeppelin, les Rolling Stones et tant d’autres. Un musicien raté qui aurait vendu son âme au diable pour jouer comme un Dieu. Ceux qui l’ont vu à l’œuvre affirmaient que ses mains couraient sur le manche de son instrument comme des araignées. Sur scène, il se tenait dos au public pour que personne ne puisse voir sa technique. Son image sulfureuse, il l’a entretenue soigneusement. Oui, un soir d’errance, sur une route du Mississipi, à un carrefour, le prince des ténèbres lui est apparu. Il a pris sa guitare et lui a accordé, scellant le pacte. Johnson a alors connu la gloire dans les Juke Joints, « ces églises de la nuit qui sentaient bon le soufre ». Il a pu enregistrer vingt-neuf chansons entre 1936 et 1937. Tout ce qu’il reste aujourd’hui de celui que les apôtres de la vertu appelaient « le fils de Satan », mort empoisonné par un mari jaloux au cours de l’été 1938. Il avait 27 ans.
Dupont et Mezzo (« Le roi des mouches ») remontent la vie de Johnson à contre courant des versions folkloriques pour ancrer son parcours dans la réalité. La référence au diable est présente mais elle s’affiche surtout comme un élément « commercial » que bien d’autres avant lui avaient d’ailleurs déjà utilisé. L’histoire de ce gamin n’a rien d’originale. Enfance difficile. Marié très tôt, sa femme adorée et son enfant meurent en couches. Il n’a que 19 ans. Il entame alors une longue errance sur les routes et les rails du sud profond, sa guitare en bandoulière. Des débuts catastrophiques où les autres musiciens se moquent de son manque de talent. Il disparait plusieurs mois. A son retour, son jeu s’est transfiguré, sa technique éblouit l’assistance. Ainsi débute la légende. Sa transformation est selon lui due à sa rencontre avec le Malin, sa réputation est en marche. Il en jouera jusqu’au bout, au moins autant que de son charme incroyable. Chaque nuit, il se noie dans l’alcool et les aventures d’un soir. Les femmes sont folles de sa beauté troublante, de son charisme, de son visage imberbe, de son regard aux lueurs ensorcelantes. Son ascension sera aussi fulgurante que sa chute. L’enfer l’attendait de toute façon, il lui fallait bien payer sa dette, le moment venu. Et le lecteur de tourner la dernière page en se disant que, finalement, sa seule malédiction était sans doute son inégalable talent.
Graphiquement, c’est juste fabuleux. Le noir et blanc de Mezzo est sensuel, presque organique. Ses aplats sont d’une profondeur et d’une densité rarement vues. Le format à l’italienne, les nombreuses illustrations pleine page et la voix off achèvent de plonger le lecteur au cœur de cette vie brûlée par les deux bouts. Cerise sur le gâteau, on trouve en fin d’ouvrage les textes des chansons de Robert Johnson, en VO et en français, dont le célébrissime « Sweet Home Chicago ». Un album incontournable !