Je découvre enfin Mafalda, ce grand classique du dessin de presse, diffusé dans les années 60 et 70 en Argentine et partout dans le monde depuis. Cette intégrale est vraiment très bien présentée, en noir et blanc, et arrangée en chapitres respectant la chronologie. Un très bel objet, donc. Quant à Mafalda elle-même, elle ne m' a pas déçu, loin de là. Petite fille d'un couple classe moyenne dans une Argentine à la politique secouée de remous, elle a la candeur de l'enfance et l'acuité du journaliste politique. "La vérité sort de la bouche des enfants" dit-on, et Quino l'a compris qui va utiliser sa petite héroïne pour nous sortir la sienne. Et de fait, Mafalda n'est pas vraiment une sinécure, et le ton de la BD (des strips de quatre à cinq cases généralement) est très définitivement adulte, comme les journaux où on la trouvait, je suppose.
L'humour de Quino est assez particulier, chaque " strip" finissant sur une punchline toujours teintée d'un pessimisme assez éprouvant. La petite fille regarde et commente un monde qui lui déplaît clairement, un monde fait d'adultes en état de démission par rapport aux espoirs qu'ils devraient entretenir pour leurs gosses. Le mot "déprimant" vient d'autant plus à l'esprit sur certaines pages qu'il est souvent écrit noir sur blanc. D'ailleurs un petit personnage de la BD n'hésite pas à reprocher son pessimisme à la petite fille.
J'aimé que, comme dans Calvin et Hobbes vingt ans plus tard , les parents de la petite héroïne font corps avec l'histoire, leurs soucis, leur réflexions et leurs échecs alimentant les pensées et les remarques de Mafalda. Par exemple Quino fait passer son message féministe quand la petite fille demande à sa mère, occupée à faire le ménage et la cuisine "Qu'est-ce que tu voudrais faire si tu étais vivante?" Le père, lui, en prend pour son grade chaque fois qu'il est confronté à une question embarrassante de sa fille sur la situation politique ou économique du pays.
Wall Street et ses banques cupides , les menaces de coups d'état, les hésitations des libéraux, l’impérialisme américain, la guerre perpétuelle, la morosité des adultes, l'éducation des femmes, la prégnance de l'Eglise, etc... Tous les sujets sont abordés par Malfada, avec toujours un humour de clown triste qui fait souvent mouche. Perso, ça m'a foutu un peu le cafard de constater que les questions de Mafalda sont aussi pertinentes pour notre monde qu'elles l'étaient dans les années 70.
Une très bonne découverte et une lacune que je suis content de combler enfin. Faites pareil, si vous êtes comme moi en retard d'une guerre ou deux, guys et guysettes! :-)