À ma lecture de Maison Ikkoku, j’y suis allé comme on va à la mort. Le pas n’était pas décidé, plutôt traînant et la silhouette était prostrée ; j’étais mort avant l’heure. Après Ranma et Inuyasha, le goût du poison de madame Takahashi, j’en devinais déjà les fragrances du bout des rétines. Le mithridatisme, à ce stade, était suffisamment élaboré pour que je n’en crève plus de ces lectures, mais la douleur ne s’atténuait pas pour autant. Les crampes aux boyaux que j’avais entre les deux oreilles, je les appréhendais déjà.

Puis, je déflorais le premier tome.

La lecture se poursuit, le premier chapitre s’achève, ma mâchoire inférieure se tord et je m’interroge :


« Est-ce que je rêve ou j’ai apprécié un chapitre signé Rumiko Takahashi ? »


Maison Ikkoku, c’était paraît-il un des titres du Club Dorothée. Du Club Do’, j’en suis un rescapé de justesse ; un survivant. J’en ai réchappé de peu du fait de mon âge comme d’autres passaient entre les filets de la conscription pour avoir eu seize ans à l’heure de la grande boucherie. À scruter l’analogie que je viens de pondre, chacun en déduira que le Club Dorothée, je ne le tiens pas dans une estime très particulière. La nostalgie, toute échouée contre ma haine, se meurt d’une agonie bien douloureuse. On me prend pas par le sentiments du fait que les années soient passées. Aussi, aurais-je été un des innombrables rejetons bâtards de la Dorothée que la Maison Ikkoku, je m’en serais allé lui effondrer les fondations à la masse s’il l’avait fallu. Peut-être avec un pincement à ce qu’il me reste de cœur. Le fier Sicambre, quand il brûle ce qu’il a adoré, ne s’en libère pas l’âme pour autant.


Seulement, de base, la Maison Ikkoku, je n’y suis jamais entré, pas même tout jeune. Je n’ai donc aucune affection à lui porter…. Et pourtant, malgré l’aversion certaine que j’aie pu éprouver pour les ouvrages de Rumiko Takahashi, il faut se rendre à l’évidence, l’entame de Maison Ikkoku est un sans faute. Je crois avoir suffisamment insisté dans d’autres critiques pour rappeler à quel point la première impression est la plus cruciale : celle-ci fut redoutable.

Le caractère cloisonné et intimiste de cette auberge où une foultitude de personnages aux caractères marqués converge au milieu des planches comme un essaim bouillonnant de vie, ça laisse son impression. Et une qui marque pour le meilleur.


Sachons raison garder, ça n’est évidemment pas aussi impactant que peut l’être un Sunny qui concourait plus ou moins dans ce même contexte, un contexte où des inconnus, dans une même maison, sont amenés à cohabiter. Que ce fut dans un foyer pour jeune ou une auberge. Le concept est finalement génial pour peu qu’on sache bien l’exploiter ; et Rumiko Takahashi a su en tirer le meilleur pour ce qui tient à l’installation du postulat. Ce dont Ken Akamatsu fut incapable en écrivant Love Hina dont la cohabitation en auberge virait au harem induit.


Les personnages, ici, sont tous sympathiques et trouvent leur juste place sans même avoir à la chercher. L’humour ambiant suppose une exubérance qui, cependant, est plus mesurée ce que à quoi on pourrait s’attendre. Maison Ikkoku trouve le moyen d’être vivant sans être excessivement lourd. C’est même léger, suffisamment pour nous envelopper et nous transporter.


« Convivialité » est le mot clé pour déterminer ce qui fait le sel de l’œuvre. Cette proximité entre ces inconnus qui vivent ensemble laisse planer un charme latent qui n’en finit pas de nous emplir les poumons à chaque bouffée qu’on inspire le temps de la lecture. La tranche de vie, ici, trouve son propos et son intérêt dans ce qui est déballé. Ces relations entre les personnages, du moins la nature de ce qui les unit, je ne l’ai lu nulle part ailleurs. La douceur de vivre n’est pas ici seulement affectée, mais apparente au point d’être criante.


Bon sang, même l’humour criard et prévisible de Takahashi trouve parfois ses accès chez moi le temps de la lecture. Maison Ikkoku est un concentré de bonne humeur qui érode même les couches d’amertume d’un atrabilaire de ma race. Des planches, il en ressort une pulsion de vie qui irradie même les émanations les plus sombres de Thanatos dont je suis pourtant un des miasmes les plus purulents. La beauté et la simplicité de cette gentillesse qui se garde d’être gentillette réchauffe sans trop de peine un cœur glacé.


« Mais ? », demanderont dans un soupir las ceux qui ont vu la note. « Mais » il y a la romance. Elle est fatale ; la promiscuité l’engage sur le papier avant même qu’elle commence à advenir. J’aurais pu la pardonner si elle n’avait pas été le centre de gravité de Maison Ikkoku. La richesse du manga, ici, on la puise dans ses personnages secondaires, mais certainement pas dans la trame initiale. Yusaku et Kyoko auraient gagné à n’être que des personnages parmi tous les pensionnaires de la maison Ikkoku où chacun, ainsi, aurait gagné à avoir son exposition au même titre. Sunny avait adopté cette recette, et le rendu n’en fut que plus savoureux.


Mais non… il fallut que ce soit une histoire d’amour ; rien qu’une histoire d’amour. Tout, dans chaque chapitre qui vient, converge vers cette trame navrante. La romance, en elle-même, est acceptable. Nerveusement parlant, j’entends. Ça n’est pas trop cucul, ça prend son temps ; nous sommes heureusement très loin de ce qui pourrait s’accomplir de pire dans un registre Shôjo.

Les autres personnages de la Maison Ikkoku sont tellement riches de ce qui les constitue qu’ils auraient gagné à partager la vedette équitablement avec ce couple sans cesse plus exposé à mesure que s’enchaînent les volumes. C’est à eux que Maison Ikkoku doit son éclat, c’est eux qui ont initialement accroché le lecteur pour la manche pour le convier à boire un coup en leur compagnie pour mieux qu’il se perde dans le tumulte heureux d’une convivialité qui séduit même un misanthrope.


Avec la romance qui se dessine, Maison Ikkoku m’apparaissait comme un Touch dont on aurait purgé le calme et la pudeur ainsi que le baseball. Le dessin concourt lui aussi pour beaucoup à cette comparaison qui ne me paraît aucunement inappropriée. Mitsuru Adachi s’est clairement inspiré du trait de Takahashi pour le perfectionner. Un trait qui, parcouru sur les planches de Maison Ikkoku, m’a paru autrement plus plaisant que du temps où je m’étais fourvoyé avec Ranma 1/2 ou Inuyasha. Sortie des carcans du Shônen, son dessin, simple et fonctionnel, sait alterner entre l’agitation et la quiétude de l’instant sans jamais rompre le style. Je l’ai lu ici et là dans les autres critiques qui ont été faites que ce dessin, en l’état, n’avait pas trop vieilli. J’apporte ma voix à cette clameur ; on sent certes la marque de l’époque, mais elle s’inscrit encore bien dans la nôtre.


Elle est touchante cette romance, mais elle vise à côté de ce qui aurait pu être le propos de l’œuvre : un manga tranche de vie moins orienté romance et davantage prompt à poser la focale sur ses personnages secondaires afin de les effeuiller prudemment jusqu’à nous les dévoiler entièrement. Hanae, Nikaidou, Akemi et le mystérieux M. Yotsuya – sacré personnage que celui-ci – avaient tant à offrir. Mais à eux, on leur a mis la bride parce que deux personnages devaient s’aimer au milieu des insupportables et coutumiers triangles amoureux. Ah le beau gâchis que celui-ci. Rumiko Takahashi avait de l’or sous la main, mais aura préféré reporter son attention sur deux pièces de bronze. L’exaspération qui en découle n’en est que d’autant plus déplorable que l’affaire n’a que trop traîné, excédant de beaucoup l’hospitalité qu’un lecteur fut disposé à lui accorder dans son esprit après avoir cru en des promesses bien mal tenues.

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le 11 août 2024

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Josselin Bigaut

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