Major
7.5
Major

Manga de Takuya Mitsuda (1994)

Déconseillé aux diabétiques

«Êtes-vous donc si cruel, Josselin Bigaut, que vous cherchiez à exclure les diabétiques ? Que vous les priviez aujourd’hui d’un manga dont on nous promet qu’il sera savoureux ? Jusqu’où ira votre intolérance ? »

L’intolérance, elle ira jusqu’au bout de la critique. Car prosaïque au point d’en être très con, j’ai tendance à considérer que l’on ne tolère que ce qui est tolérable. Et les diabétiques, je ne les exclus pas ; je les préserve de la mort. Je les sauve comme on sauve une personne qui manque d’être percutée par une bagnole, en les repoussant violemment. Pourquoi les diabétiques au juste ? Mais parce que tout ce que vous lirez ici est mielleux et sirupeux au point de faire gonfler la glycémie du seul fait de sa lecture. En réalité, les diabétiques sont seulement en première ligne des bataillons de lecteurs auxquels je suggère de passer leur chemin. Car mielleux, le contenu l’est tellement qu’il en devient poisseux.

« N’aimez-vous donc pas ce qui est innocent, Josselin Bigaut, pour conspuer si lapidairement un contenu qui touche directement au cœur ? Ce cœur qui, de toute évidence, vous fait défaut pour n’être comblé que par un concentré de cynisme enrobé dans une bile bien obscure. »

L’innocence, la pureté, ce sont là des notions que je révère précieusement. J’y suis même d’autant plus sensible que je les sais précieuses du fait de leur rareté. Aussi, je ne saurais tolérer – là encore, là toujours – qu’on les parodie si grossièrement. Confondre mièvrerie et innocence, c’est là une erreur bien crasse ; assez en tout cas pour salir les yeux et obscurcir le jugement. De ces œuvres sucrées et gentillettes, j’en ai soupé à en avoir des caries. Le mignon, poussif, vaguement larmoyant, à l’usure, ça ne suggère plus chez moi que des éclats de rire. C’en est si poussif qu’on ne peut pas verser une larme en lisant Major, pas à moins de rire aux éclats.


Du Dickens de Carnaval en guise d’entrée, ça vous dissuade de vouloir toucher au plat de résistance. Ces grands yeux humides, ces sourires blêmes qui retranscrivent l’insouciance ; tout y est pour vous donner envie de baffer tout ce beau monde. L’innocence, ça se conçoit habilement, avec pudeur et minutie. Le Journal de mon Père ou Une Sacrée Mamie vous offriront, je le crois, un horizon plus pertinent de ce qui a trait à cette thématique. Ici, c’en est si grossier que le ridicule en émane aussi naturellement que le méthane nous sort des intestins.

Maman est morte, papa est un joueur de baseball devenu alcoolique suite à une blessure, et ce lourdaud, parce qu’il est ivre, dit à son fils de renoncer à ses rêves de Baseball. Car rien de tel que de tremper du misérabilisme indigeste – et drôle tant il est outrancier – dans le bassin mielleux qu’on nous présente afin de nous garantir une chiasse liminaire à la lecture.


Papa et mademoiselle l’instit – qui évidemment est le portrait craché de sa femme décédée – se tourneront autour tout du long dans un long tango désarticulé propre aux amourettes de Shônens.


Dans Major, il y a du faux drame comme il existe du faux sucre. Il ne vous file pas le diabète celui-ci, rien que le cancer à la place. On y gagne au change. Passer d’un Mitsuru Adachi à ça, ça ne contraste que mieux la différence flagrante entre une œuvre qui s’écrit en finesse et une autre qui s’accomplit en fracassant la plume contre le papier pour y laisser de grosses taches.

Une de ces taches, c’est la mort du père de Gorô. Oh que tout cela est mal amené. Imaginez Dickens qui s’attellerait à l’écriture d’Oliver Twist avec cinq grammes dans le sang ; au bout du bout, ça donne Major. Et la couillonnerie aura duré 78 tomes. N’a-t-on pas dit à son auteur que les meilleures blagues étaient en principe les plus courtes ? D’autant que cette triste blague est bien mal narrée.


La mise en scène n’a aucun impact sur le lecteur. Tout y est commun, tout y est banal ; tout y est vulgaire. Et ces dessins… on les croirait tirés des fonds des rebuts de Gôshô Aoyama à une époque où celui-ci s’essayait au dessin avec le poignet cassé. Trop de fois j’ai encensé la décennie 1990 pour les dessins qui y sévissaient dans le milieu du Shônen, mais de cette nostalgie mal branlée, on en revient au galop quand on lit ce qui vient ici nous esquinter les yeux. Soudain, le «c’était mieux avant» ne se balbutie plus que du bout des lèvres. Et avec un point d’interrogation en guise de ponctuation.


Du fait que l’œuvre traversera les âges, de 1996 à 2010, le style évoluera au gré des modes du moment, achevant ainsi de persuader son lecteur qu’il est impersonnel et sans intérêt.

Gôrô grandit dans l’œuvre. Ce qui était alors puéril devient adolescent ; avec tout ce que cela suppose de reproches. Et puis, pas un personnage secondaire – ou principal – ne se profilera à un instant donné dans l’œuvre pour nous suggérer l’envie de lire. Tous sont pauvres et lisses. Lisses comme les aspérités d’une paroi que l’on chercherait à escalader, mais sur laquelle on ne trouverait aucune prise viable. Lire Major avec plaisir, je ne demandais que ça, mais son auteur a semble-t-il tout entrepris pour m’en dissuader. Moi, et les autres aussi. Car à moins d’être mort de faim, on ne mange pas du Major pour le plaisir. Comme purgatif à la rigueur.


Le drame – ou ce qui feint d’en être – vous aura été conté ici dans les grandes lignes, mais il ne faut pas oublier que toute la machinerie scénaristique s’articule autour du baseball. Et là, on doit bien dire que Mitsuda Takuya a très bien retranscrit le sentiment que l’on éprouve lorsque l’on se retrouve confronté à un véritable match. Car… qu’on se le dise… c’est chiant le baseball. Il faut commettre un effort surhumain pour ne pas piquer du nez devant ce spectacle grotesque qui, de sport, n’en a que le nom.


Il se sera trouvé des auteurs pour magnifier la discipline. Certains par le dessin et les personnages, d’autres en y insérant de l’ingéniosité. Mais à part mentir et tricher sur se sport, on ne parviendra pas à passionner qui que ce soit à son sujet. Et c’est là où Major – malgré les artifices burlesques de sa mise en scène rigide pour ce qu’elle fut racornie – fait honneur à ce sport en nous le montrant tel qu’il est : chiant et rigide comme les pierres. Lire Major, c’est entreprendre une bataille haletante contre le sommeil. Le cerveau, quand il s’éprouve à pareil spectacle, choisit de se mettre en veille pour se préserver. Insomniaques qui vous usez les yeux sur cette critique à une heure indue, essayez Major ; vous me remercierez après vous être réveillé du profond coma dans lequel il vous aura fait sombrer.


Naturellement, comme tous les Shônens qui ne savent pas s’agencer dans leur écriture et leur affichage scénique, tout le monde crie et surjoue à chaque situation donnée. Et chaque étape du récit se veut prévisible à outrance pour peu qu’on se force à lui trouver de l’intérêt. Oui, tout y est si bien écrit à l’avance qu’on n’a plus besoin de le lire. Mais il le faut hélas… ne serait-ce que pour avertir quelques myriades de malheureux qui seraient tentés par la lecture.


Le manga – après 78 tomes rappelons-le – se termine de la manière que l’on devine et l’auteur, capitalisant sur le seul titre qu’il ait jamais su faire fonctionner, rempilera sur vingt autres volumes avec Major 2nd… dont je m’épargnerai la lecture. Celle-ci fut longue et éprouvante à me perdre dans les méandres glacés de l’ennui et du manque d’inspiration. Que dire au final si ce n’est que c’est un de ces mangas sportifs écrits sans une idée neuve comme il y en a eu tant d’autres ? Rien. Rien du tout. À bien y réfléchir, si j’avais gratifié cette critique d’un nombre de mots équivalent à l’intérêt que je portais à l’œuvre, j’aurais alors rendu une copie blanche. Une copie blanche sur 78 tomes… c’eut été plus digeste que ce que j’ai lu.

Josselin-B
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le 2 août 2024

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Josselin Bigaut

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