Fruit de la collaboration de deux titans de l'industrie des comics, Frank Miller (300, Sin City, Batman: The Dark Knight Returns...) au scénario et Dave Gibbons (Watchmen, The Secret Service...) au dessin, Martha Washington fait partie de ces histoires relativement inclassables qui étaient forcément amenées à devenir cultes. Comme d'autres comics du courant indépendant / underground des années 80 et 90, on y délaisse l'héroïsme naïf des superhéros et la croyance en un monde (et un homme) meilleur amené par le progrès pour dresser un bilan résolument noir de la société américaine, à travers la peinture d'une Amérique du 21ème siècle alternatif, déchirée par les tensions raciales, religieuses et politiques. Comme toutes les créations de Miller, Martha Washington est violente, déterminée, droite dans ses bottes; elle se méfie (à raison) des politiciens retors, de la hiérarchie militaire traîtresse et de l'intelligence artificielle, car tous trois s'opposent au principe fondamental de toute société (toujours selon Miller): la liberté de décision et d'expression de chaque individu. On voit bien ici les points communs notamment avec les deux Batman de Miller: dès lors que ce principe est menacé, selon le scénariste, chacun est en droit de se battre par tous les moyens, même les plus violents (surtout les plus violents) pour réaffirmer son individualité.
Ce qui fait cependant la réelle originalité du récit, outre les dessins d'un Dave Gibbons à son meilleur (magnifiés ici par les couleurs d'Angus McKie), c'est que non seulement le conflit a une fin présentée dans l’œuvre -la paix finissant par s'installer, au bout de trois tomes, même si elle n'est que provisoire- mais surtout, à travers la présentation d'une terre parallèle où la paix règne, il nous montre que la guerre n'est pas inhérente à la nature humaine (ce qui, pour Miller, a dû être une énorme couleuvre à avaler).
De plus, si le côté cosmique (et donc lié à des problématiques universelles) du troisième tome semble arriver un peu comme un cheveu sur la soupe au terme des deux premiers (axés résolument sur l'Amérique), il est bien ce qui "sauve" finalement l'humanité, au sens où il lui donne un questionnement et donc un but communs. À l'inverse de Watchmen où la prétendue menace extraterrestre est créée de toute pièce par les humains et donc vouée à l'échec (c'est d'ailleurs une référence explicite au début du troisième tome), la véritable transcendance évoquée dans Martha Washington semble remplir sa mission fédératrice. C'est ainsi devant l'Autre avec un A majuscule que les hommes peuvent oublier leurs petites différences et devenir véritablement Un.