Dans ce Masterworks, qui comporte un peu plus de numéros que l'intégrale VF (on a Jungle #6-24 là ou en français, il n'y a que les numéros #6-18, laissant de côté l'histoire alors inachevée de Black Panther face au Klux Klux Klan), on peut lire l'entièreté de la première série solo consacrée à Black Panther, qui était dans le titre "Jungle Action". Il faut savoir que ce ne sont pas les premières apparitions du héros, qui est né dans les pages des 4 Fantastiques et qui a eu ensuite beaucoup d'aventures avec les Avengers, ainsi qu'une petite aventure dans Tales of Suspense avec Captain America et face à Doom dans Astonishing Tales. Et si Stan Lee et Jack Kirby avaient créé Black Panther comme un monarque africain du pays mystérieux mais ultra avancé technologiquement qu'est le Wakanda, Roy Thomas dans les Avengers avait fait un peu bifurqué la trajectoire du personnage. Je n'ai pas encore lu ses épisodes, mais de ce que j'en ai compris, T'Challa partait s'installer aux USA, devenait instituteur à Harlem (!), se faisait appeler Luke Charles et entamait une romance avec la chanteuse de jazz Monica Lynne.
Et justement, la série Jungle Action de Don McGregor va alors traiter du retour au pays de T'Challa, décidé à reprendre en main le Wakanda, mais venant accompagné de Monica. Il va devoir alors gérer la défiance d'un peuple vis à vis d'un monarque qui les a abandonné et en outre qui a ramené une étrangère avec lui. Rappelons que le Wakanda est un pays très isolé et protectionniste et par conséquent assez hostile aux étrangers. Et c'est dans le cadre de ce come-back qu'une sorte de révolte va commencer au Wakanda, avec des meurtres et des pillages un peu partout qui commencent, causés par un groupe rebelle qui veut renverser T'Challa et mené par le guerrier surpuissant et stratège Killmonger, qui est assez similaire à ce que sera Bane quelques décennies plus tard pour Batman si vous voulez un point de comparaison.
Débute alors une très longue saga, intitulée Panther's Rage, où T'Challa va donc essayer d'arrêter le vilain révolutionnaire, qui a toujours un coup d'avance et qui envoie sur le monarque africain toute son armée de mercenaires étranges, tout en préparant son assaut final. Notre héros, dans son costume de Black Panther va alors commencer une traque intense, où il sera en permanence malmené et aux portes de la mort. Mais ça va en même temps lui permettre de reprendre contact avec son pays, de le redécouvrir et du coup de le faire découvrir au lecteur.
Le scénariste Don McGregor est vraiment très ambitieux. Alors qu'à l'époque on est encore beaucoup dans les histoires résolues en un numéro, il se lance dans une grande saga en 13 chapitres, avec un ton globalement plus mature qu'à l'époque. En outre, il décide de faire une histoire se déroulant exclusivement au Wakanda, contenant donc quasiment aucun personnage blanc, sans doute une première à l'époque et quelque chose d'encore assez rare aujourd'hui, et quelque chose qui ne manqua pas d'agacer le personnel de Marvel à l'époque.
Et il développe tout l'univers autour du héros, avec de nouveaux villages et lieux forts au Wakanda, qui devient alors plus riche que d'autres pays imaginaires de Marvel comme la Latvérie ou Atlantis, se limitant souvent à une ville et puis basta. On a même une carte du pays ! En outre les quelques alliés du héros, ses conseillers Taku le fidèle ou W'Kabi le méfiant, sont vraiment développés (malgré le fait qu'ils aient la même gueule et qu'on ne les distingue que par la couleur de leur costume), pareil pour sa petite amie Monica Lynne, dont le côté expatrié et mal acceptée par les locaux est très intéressant.
Et surtout, en parallèle, accompagnant Killmonger, on découvre tout une galerie d'ennemis, pas super charismatiques visuellement, certes, mais souvent bien écrits et assez redoutables : Venomm et Lord Karnaj (Oui. Bien avant les versions symbiotes adversaires de spidey), la vilaine Malice, le Baron Macabre qui réveille les morts, le génial King Cadaver avec son look absolument improbable et génial que l'on découvre dans une double page à mon sens mythique, les lieutenants débiles Tayete et Kazibe, Sombre, et le redoutable Salamander K'Ruel qui affrontera un T'Challa dans un duel super intense. Il n'y a que Killmonger qu'on a vraiment revu par la suite (dans le run de Christopher Priest notamment, qui essaye vraiment de prolonger tout ce que les auteurs l'ayant précédé ont construit autour de Black Panther) mais honnêtement je ne serais pas contre le fait de revoir les autres.
C'est assez passionnant de découvrir le Wakanda et tous ses persos, et c'est fait au sein d'une saga assez intense, qui monte en puissance tout du long, avec un T'Challa de plus en plus épuisé à chaque numéro, et ayant survécu à des obstacles impossibles, le tout aboutissant sur une bonne grosse bataille finale. Et on a le droit a beaucoup de scènes cultes : le premier affrontement face à Killmonger en haut de la cascade, qui a carrément été repris dans le film, mais il y a aussi tout cette séquence où T'Challa doit survivre dans la neige puis affronter des gorilles blancs géants quasi divins, ou encore toute cette séquence où T'Challa est piégé, à bout de force, sur un cactus. On sent l'envie de McGregor d'écrire Black Panther comme un homme vraiment au top physiquement et mentalement, dont la volonté de fer lui permet de survivre à tous les problèmes. Une sorte de pinacle du héros noble, vaillant et courageux. A voir après si cela vous plaît, surtout qu'il faut bien avouer que des séquences de "torture" comme celles que j'ai cité, il y en a quasiment à chaque numéro, ce qui pourra paraître un brin répétitif et lassant pour certains. Tout comme ces innombrables duels face à des animaux sauvages bien trop nombreux. Ce n'est pas parce que T'Challa vit en Afrique qu'il doit forcément affronter des bêtes sauvages en permanence. Pour le coup, c'est vraiment l'héritage pulp (et les clichés coloniaux ?) qui ressortent. Donc, amis des animaux, préparez vous à voir Black Panther tuer de la bestiole (mais toujours à regret, heureusement).
Il faut bien le dire, cette saga, Panther's Rage a beau être très chouette, elle possède quand même pas mal de défauts. Outre ceux que je viens de citer, le gros problème reste le fait que Don McGregor est vraiment trop bavard. Il a décidé de bourrer chaque page avec le maximum de textes et ça peut se révéler une torture à lire, surtout si vous lisez, comme moi, l'album en anglais. Dans ces cas là, c'est impossible d'avancer dans la lecture en étant fatigué, surtout qu'il se veut en plus assez littéraire. Tout est décrit, la moindre action, la moindre pensée, le moindre lieu... Avec parfois l'impression que ça parle pour ne rien dire. C'est parfois assez horrible. Je déconseille vivement de s'attaquer à cet album si c'est votre premier comics rétro. Mais en même temps cette abondance de texte permet de développer vraiment les personnages, les rendre plus intéressants que leurs looks un peu nazes, et d'appuyer l'intensité de certaines scènes, de développer vraiment certaines thématiques. Mais inutile de dire que ce style d'écriture ne plaira pas à tout le monde.
Mais au final, Don McGregor pose vraiment les bases de la mythologie du héros. Et cette histoire de révolte face à Black Panther va devenir le type de récit le plus fréquent des aventures de T'Challa, ce qui rend assez intéressant dans voir en quelques sortes la version originelle. Il est aussi plaisant de voir l'univers du héros revenir sur le droit chemin après les errements de Roy Thomas. Par contre, c'est vrai que l'interprétation du personnage n'est pas non plus celle pourtant si géniale de Lee et Kirby. On ne retrouve pas le côté "homme le plus riche du monde" et le côté stratège et intelligent de T'Challa, y est peut-être un peu moins mis en avant au profit de sa supériorité physique. On retrouve moins sa confiance, son arrogance de roi, qui peu pourtant faire tout le sel du personnage chez Priest ou Hickman. C'est peut-être un héros plus classique ici, mais toutefois très agréable à suivre.
Par contre, hérité des premiers récits de Kirby, on retrouve la description du Wakanda comme un pays entre "tradition et modernité", avec des technologies avancées s'étant développées récemment. Personnellement, je préfère le Wakanda futuriste depuis la nuit des temps mis en place à partir du run de Hudlin, mais ça permet bien entendu pas mal de conflits, avec le peuple méfiant vis à vis du Roi et de toute sa technologie. Ca ramène cependant le pays aux clichés des nations africaines du siècle passé...
Et pour finir sur les défauts de Panther's Rage, on peut citer le fait que la jungle mécanique présentée par Lee et Kirby lors de la première apparition du héros est franchement en retrait alors qu'elle est quand même super cool. Les vilains M'Baku ou Klaw sont également totalement absents. Par contre, il y a une chose qui est là et qu'on aurait préféré absente : que font ces putains de dinosaures au Wakanda ? Ils sont dans un recoin caché du pays, mais qu'est-ce que c'est que ce délire complètement débile ? Ça permet certes une bataille finale assez folle avec des dinos utilisés comme machine de guerre qui marchent sur la capitale, mais c'est peut-être un peu trop n'importe quoi. Le Wakanda c'est un pays d'Afrique, pas un pays préhistorique ou la Terre Sauvage.
Et donc après avoir survécu à Panther's Rage on attaque donc la saga de Black Panther face au Klux Klux Klan, où T'Challa accompagne Monica Lynne aux USA pour enquêter sur les raisons de la mort de sa sœur. C'est une saga agréable à suivre, où l'on découvre les parents de Monica qui sont assez sympathiques, et où le décalage de Black Panther avec l'environnement donne une dynamique réussie, et surtout des scènes improbables comme celle ou il se balade en costume dans un super-marché (!) et se fait agresser par une grand mère qui lui fait une cicatrice à vie avec une boîte de pâtée pour chat (!). A part ça, les points forts de cet arc c'est la symbolique évidemment très forte de l'affrontement entre la Panthère et le Klan et cette séquence incroyable de T'Challa ligoté sur un croix en bois enflammée. Mais il faut savoir qu'elle reste inachevée. Elle ne sera fini que bien plus tard dans les Marvel Premiere #51 à #53, publiés après le run de Kirby sur Black Panther, qui n'a rien à voir avec tout ce que Mc Gregor a pu proposé.
Concernant les dessins de l'album, on a le droit à du Rich Buckler encré par un Klaus Janson en début de carrière, à Gil Kane le temps d'un épisode, et surtout à Billy Graham, un dessinateur afro-américain, sur toute la fin de la série, qui sera encré à la fois par Klaus Janson et par McLeod sur les derniers numéros. Ce n'est pas forcément le plus beau comics que vous lirez, et les designs des personnages ne sont pas toujours fous, mais il y a quand même une belle inventivité dans la mise en page et la narration avec beaucoup d'idées originales et pas mal de compositions très réussies et impressionnantes au final. On a des effets parfois très sympas, comme des transitions en fondues entre certaines scènes ! On sent également une inspiration des visuels pulp et épiques façon Frazetta ou des vieux comics Tarzan, qui donne rend les exploits de T'Challa quand même assez jouissifs à suivre par moment et souligne très bien les temps forts. Donc voilà, c'est pas le haut du panier, mais ça reste stimulant visuellement, c'est pas vraiment du comics passe-partout. Et si il y a des passages très marquants, c'est aussi grâce à ces mises en pages très réussies et assez folles.
Donc voilà, au final ce Masterworks c'est une lecture qui a vraiment été très longue et parfois éprouvante pour de mauvaises raisons, mais j'avais envie de découvrir ce run depuis longtemps et honnêtement je ne le regrette pas. Y a beaucoup de très bonnes choses et c'est franchement une bonne histoire. En outre, ça permet de découvrir l'univers du personnage et de comprendre comment il a évolué avec le temps, et de voir qu'est-ce qui a infusé dans les runs suivants.