J'ai pas lu tous les épisodes qui viennent avant ce 3e Masterworks consacré à Captain Marvel. Il faut dire que les épisodes réunis ici sont assez particuliers puisqu'il s'agit du passage de l'auteur complet Jim Starlin sur la série et qui y met en scène la première saga épique face à Thanos. Au niveau de la chronologie, c'est un période assez particulière pour Captain Marvel puisque sa série avait été mise en pause, mais suite à la grande saga épique de la guerre krees-skrulls qui a eu lieu dans la série Avengers, où Captain Marvel (qui est en fait un officier kree nommé Mar-Vell) et le jeune Rick Jones étaient mis en avant, les deux braves héros ont de nouveau une série. Parce que oui, à l'époque Rick Jones est lié à Captain Marvel, les deux ayant l'habitude d'échanger leur position en frappant des bracelets appelés Néga-band, envoyant l'un dans la zone négative pendant que l'autre fait ses trucs dans notre réalité. Ce qui rappelle un peu le Captain Marvel original de Fawcett Comics, qui est un petit garçon qui devient un surhomme en criant Shazam.
Avant l'arrivée de Starlin, on a le droit à quelques épisodes de remise en place du héros. C'est alors Rick Jones qui est vraiment mis en avant, pour essayer de donner un côté plus humain à ce héros, avec des problèmes d'ados qui évoquent presque du Spider-Man. Il faut aussi expliquer le retour de Mar-Vell, qu'on pensait mort à la fin de la guerre Krees-Skrulls, s'étant sacrifié pour sauver Rick. Honnêtement, ces premiers épisodes signés Gerry Conway puis Marv Wolfman ne sont vraiment pas terribles. Le côté soap n'est pas désagréable, mais les dessins sont mauvais et le premier vilain, Megaton, est l'un des plus nuls que j'ai pu voir, avec sa force atomique à deux balles, son manque de motivation et son origin story bien trop détaillée pour un tel méchant (surtout qu'elle est retconnée dès sa seconde apparition pour le connecter un peu plus aux krees et donc à Captain Marvel). Le deuxième vilain, Dr.Mynde, est plus réussi, surtout que son origin-story est un peu plus efficace et son côté master plan est sympa, surtout qu'il semble réellement imbattable. Malheureusement il n'apparaîtra que dans un seul numéro à la fin un peu précipitée, sûrement pour laisser la place à Starlin qui veux faire ses propres intrigues. Dans ses trois premiers épisodes, on sent que les scénaristes tâtonnent pour trouver une formule efficace aux héros. D'abord fonctionnant sans les néga-bands, Wolfman trouve vite une excuse bidon pour en redonner au duo.
Starlin débarque sur la série tout d'abord avec Friedrich au script et s'approprie la série vraiment petit à petit. On reste d'abord dans un ton assez proche des épisodes précédents avec un Rick Jones très présent et un ton très urbain. Mais petit à petit, l'auteur va installer la grande saga de Thanos, introduire toute la riche mythologie autour du vilain et on va partir dans quelque chose de plus en plus cosmique, avec une échelle de puissance de plus en plus grande, jusqu'aux épisodes finaux où Rick Jones ne fait quasiment plus que de la figuration, où sa vie civile n'a plus aucune importance, et où Captain Marvel est entouré de pleins d'alliés pour affronter un Thanos devenu un dieu cosmique imbattable à l'aide du Cube Cosmique.
Si Starlin est un peu maladroit au début, comme dans la première apparition de Thanos dans Iron Man #55 où son design n'est pas encore celui définitif, il arrive quand même à faire quelque chose d'assez passionnant sur la longueur. Il y a vraiment tout une construction pour rendre les vilains réellement menaçants, notamment Thanos, qui met du temps à se révéler et qui reste invaincu jusqu'à la fin, devenant même de plus en plus puissant au fil des numéros. Mais même le Controller, lieutenant du Titan Fou, s'en sort avec les honneurs. Lors de sa première apparition dans la saga, il bat tous les Avengers dans l'ombre, laisse Rick Jones impuissant, et ce n'est qu'un Captain Marvel ayant fait du level-up qui pourra le battre au court d'un long combat au corps à corps assez bourrin.
Mais l'un des gros plaisir de ce tome c'est de découvrir tout l'univers que développe Starlin autour de Thanos, qui sont en plus les bases d'un mythe qu'il continuera tout au long de sa carrière chez Marvel. Parce que Thanos n'est pas un simple vilain, il y a toute son origin-story sur la lune de Saturne Titan, qu'il a ravagée et conquise, il y a son père Mentor, son frère Eros, son grand-père devenu un demi-dieu Kronos, qui créé un être artificiel pour détruire Thanos : Drax le destructeur. Il y a aussi le super ordinateur de Titan, Isaac et d'autres personnages comme Moondragon élevée sur Titan ou l'être cosmique Eon. C'est passionnant de découvrir tout ça, surtout que ça permet de mieux comprendre le personnage, de mieux l'appréhender. Même si les infos de l'origin story développée ici ne sont pas forcément cohérente avec la version moderne écrite pas Aaron dans Thanos Rising (mais dans les grandes lignes ça passe). Et surtout, l'un des intérêts de Thanos, c'est sa motivation, qui est déjà posée ici : à savoir séduire la Mort, qui se refuse toujours à lui, et c'est ce qui l'amène à sa quête de puissance insensée et à toute cette destruction. Parce que c'est là son autre point fort, il reste un vilain surpuissant et très difficile à battre, puisque seule la ruse le permet.
Cette première saga cosmique de Thanos est vraiment très plaisante à lire pour qui aime les grandes aventures épiques feuilletonnantes avec des bons morceaux de psychédélisme intergalactique, des menaces hors norme, de grosses bastons et une bonne dose de virilité. On a ici toutes les bases du style si plaisant et particulier de Starlin. Et ce qui est amusant c'est de voir comment il prend le héros de Captain Marvel pour le faire sien, le transformant littéralement en héros Starlinien avec la conscience cosmique, une bonne dose de puissance et un calme assuré. En fait il devient assez proche de ce que Starlin fera ensuite avec Adam Warlock : un héros assez monolithique, quasiment semi-divin, protégeant le cosmos face à des menaces improbables.
Graphiquement, il faut aimer le style de Starlin, il est plus maladroit que les grands noms type Buscema, et il faut aimer ses multiples mini-cases et ses personnages masculins hyper viriles bardés de gros muscles saillants, mais y a un sens du psychédélisme très agréable, des postures de combats inspirées des arts martiaux plutôt dynamique, une mise en page expérimentale qui apporte un vent de fraîcheur agréable, un sens du détail qui rappelle un peu le travail de Barry Windsor-Smith... Et surtout, Starlin reste quelqu'un qui sait mettre en scène la toute-puissance et son Thanos est rapidement très charismatique, même si à l'époque il est moins massif qu'aujourd'hui, moins souriant et un peu plus Josh Brolin en fait.
Au final, on n'est pas dans une histoire du niveau de l'Infinity Gauntlet ou de Thanos Quest, mais ça reste très sympathique, et sûrement parmi ce qui peut se lire de mieux sur le personnage de Captain Marvel, en plus d'être une pièce essentielle pour bien comprendre Thanos, et bien savoir d'où il vient.