Les premières aventures des FF ont été l'occasion d'introduire quelques-uns des antagonistes les plus célèbres de l'univers Marvel, particulièrement Doom et Namor, passé du côté obscur. Si ces épisodes possédaient un étonnant caractère intemporel, les suivants, pour beaucoup d'entre eux, souffrent dramatiquement de leur contexte de publication : c'est donc la foire au sexisme et à la propagande de Guerre Froide, entre autres.
Pourtant, il y a une densité incroyable d'événements historiques dans cette dizaine : premiers cross-overs avec Hulk et Ant-Man, première histoire à suivre (l'épisode Ant-Man), premières apparitions de personnages tels que le Mad Thinker et son Androïde, le Super-Skrull, Molecule-Man, Impossible-Man, Rama-Tut ou encore le Red Ghost et ses primates dressés. C'est d'ailleurs à cette occasion que les FF vont accomplir l'exploit historique d'atteindre la Lune. Namor, quant à lui, découvre dans l'annual le sort de ses concitoyens atlantes...
Tout cela est très joli, mais... est largement contrebalancé par un "air du temps" insupportable. L'histoire du Red Ghost, notamment, est assez choquante pour des yeux d'aujourd'hui, les "masses communistes" (euphémisme courant dans le magazine pour montrer l'abrutissement des citoyens soviétiques) étant représentées de manière assez maladroite à travers... les primates du Red Ghost, dressés et serviles tant que le Red Ghost garde le contrôle de la nourriture, mais prêts à renier leur allégeance dès que les FF en libèrent l'accès. Loin de moi l'idée de prendre parti pour l'une ou l'autre des deux superpuissances sanguinaires de l'époque, mais il est difficile de lire ces pages sans avoir un goût de vomi dans la bouche.
Dans le même ordre d'idée, le magazine fait état de quantités de lettres reçues dénonçant l'inutilité de Susan Storm au sein de l'équipe des FF. Cette critique, à l'évidence adressée au fait que Susan Storm soit reléguée généralement au rang de sous-membre de l'équipe, est présentée par les auteurs comme directement adressée au personnage, alors qu'il est bien évident que c'est plus à son traitement qu'elle est adressée. Et, sans doute par maladresse plus que par malice, Stan Lee "corrige le tir" en accentuant le personnage, ce qui veut dire, dans ce contexte, en faire une fashion victim romantique qui essaie d'aider ses compagnons mais n'y arrive généralement pas et se fait régulièrement kidnapper ou emprisonner, quand elle n'est pas réduite simplement au rôle de sexual interest pour un peu tout le monde qui passe par là (de Ben Grimm à Reed Richards en passant par Namor ou Rama-Tut. Il s'agit sans doute d'une incompréhension dramatique de Marvel envers les enjeux éditoriaux de la représentation féminine, erreur d'ailleurs régulièrement reproduite par d'autres encore aujourd'hui : le commerce de l'imaginaire a beaucoup plus à gagner à montrer des personnages féminins complexes et crédibles au lieu de se conformer à une imagerie rétrograde et superficielle. Marvel n'en a pas encore complètement fini avec ce problème, mais s'est en tout cas clairement rendu compte de son erreur, dotant plus tard Susan Storm de nouveaux pouvoirs et d'un caractère moins unidimensionnel, et mettant peu à peu en scène des personnages féminins plus crédibles (et moins systématiquement définis par leur sexe).
J'ai conscience du fait que ce soit en partie une question de contexte socio-historico-culturel, raison pour laquelle j'ai été un peu moins critique envers ce souci dans Amazing Spider-Man... mais certains épisodes de FF en deviennent pratiquement illisibles tant ils sont rétrogrades.
Il s'y trouve néanmoins de très beaux épisodes et Kirby et Lee font, comme toujours, un duo de choc.