Stan Lee est mort. Je sais que ce n'est sans doute pas le plus pertinent à dire (a priori on est au courant, et si quelqu'un lit un jour cette critique ce sera encore plus une certitude), mais c'est un événement qui mérite qu'on s'y attarde un petit instant. Personnage haut en couleur, parfois adulé, parfois vilipendé (parfois qualifié de voleur d'idées qui s'approprie le travail des autres, notamment de ses collaborateurs), quoi qu'on pense de lui, il a marqué une époque, et a imposé un style. La fameuse dispute qui aurait eu lieu entre lui et Ditko sur l'identité réelle du Green Goblin en est une belle indication : s'il est indéniable que le dessinateur avait son influence, sa part de paternité sur cette série, force est de constater que Lee avait ses propres idées, qu'il a imposées (de façon certes un peu brutale, puisque cela aurait conduit au départ de Ditko de la série). Le style de Lee était très ancré dans le réel : ses héros étaient humains, avaient des problèmes d'humains, et surtout les récits étaient fortement liés aux problèmes de l'époque : la menace soviétique, la place de la femme qui évolue, la ségrégation et le mouvement des droits civiques, la place de l'état et du citoyen, et, de manière de plus en plus nette au fur et à mesure qu'on avance dans les Fantastic Four, une méfiance nette face aux impérialismes soviétique... mais également américain.
Comme souvent, beaucoup de choses se passent dans ce volume, mais on peut retenir à mon avis deux éléments essentiels : l'arc du départ du Silver Surfer, qui retourne auprès de Galactus, et la fin de la grossesse de Sue Storm, qui se déroule assez mal et à la suite de laquelle Sue fait un pas de côté des FF pour laisser place à Crystal. Y a aussi Ben Grimm qui se retransforme en humain pour la Nième fois et qui est contraint de se retransformer en Thing pour la Nième fois parce qu'il réalise pour la Nième fois que les FF ont besoin de lui, mais c'est assez habituel, on s'en balec.
Dans l'ensemble, sans être les épisodes les plus originaux (c'en est même un peu lourd), on y trouve un rythme haletant qui est assez plaisant à suivre. Je n'en ai pas encore parlé, maisil y a en outre un épisode que j'ai trouvé assez intéressant : celui où les FF vont apporter leur aide à Wyatt Wingfoot et à sa tribu, attaquée par l'esprit surnaturel Tomazooma. Ca donne un nouvel éclairage sur le sens profond des FF pour Stan Lee : la tribu en question est menacée, en réalité par l'Union soviétique, et malgré avoir reçu une offre de soutien du Pentagone, ont décidé de se défendre par eux-mêmes, avec l'aide des FF. C'est déjà au moins la quatrième fois que la série FF présente une nation entièrement indépendante voulant protéger son autonomie au moyen de technologies avancées : on a eu Namor, puis les Inhumains et le Wakanda. Si on pouvait encore se poser des questions auparavant, ici la nation amérindienne qui défend son droit à l'autodétermination est nettement à prendre comme une position politique dans une époque caractérisée par les deux grands blocs et l'ingérence que cela induit dans les affaires du monde. La légitimité des FF découle de leur statut de citoyen, là où un gouvernement, même "bien intentionné", n'a pas sa place. Lee et Kirby rêvent nettement d'un autre monde, où chacun dispose des moyens de défendre sa propre culture, son propre territoire sans devoir se mettre sous la protection d'un état souverain. Si cela peut paraitre un peu naïf, voire rétrograde aujourd'hui où le monde globalisé est une évidence avec laquelle il faut vivre, dans le contexte d'une Guerre froide où les superpuissances imposent leur propagande et leur force militaire, c'est l'expression claire d'un mal-être et d'un souhait positif pour l'avenir.
Dans l'ensemble, si ce ne sont pas les meilleurs épisodes, ils s'y trouvent quelques bonnes idées qui en font des épisodes assez intéressants.