Sur la recommandation de mon frère, Star Wars Jedi tome 1 : Mémoire obscure m'a semblé un choix judicieux pour ma première critique d'un comics SW – plus que judicieux, je dirais même logique, puisqu'il s'agit de la première bande dessinée de l'univers de George Lucas avec un scénario original que j'ai lu, les précédentes étant les adaptations des films et de la trilogie de romans de Timothy Zahn.
Le terme "original" est cependant à mettre en guillemets et à prendre avec des pincettes, puisque cet album pompe allègrement sur les romans Jason Bourne de Robert Ludlum et Eric van Lustbader – ainsi que sur la célèbre BD belge XIII de Jean van Hamme et William Vance, mais je crois savoir qu'eux-mêmes s'étaient inspirés de Ludlum. Bon OK, je ne suis peut-être pas charitable en utilisant le verbe "pomper" ; disons plutôt qu'il s'agit d'un hommage, pratique d'ailleurs récurrente dans les médias SW : le roman Point de Rupture de Matthew Stover étant ainsi une adaptation de Heart of Darkness de Joseph Conrad, l'épisode 2x17 "Bounty Hunters" de la série animée The Clone Wars une reprise des Sept Samouraïs d'Akira Kurosawa et l'arc Blue Harvest du comics Dark Times un hommage évident au roman de Dashiell Hammett (lui-même à l'origine d'un autre film de Kurosawa, Yojimbo, puis de Per une Pugno di Dollari de Sergio Leone…).
Mais reprenons depuis le début : lorsqu'il entame l'écriture de cette nouvelle série intitulée sobrement Star Wars aux USA, John Ostrander est déjà un scénariste de renom outre-atlantique, auréolé d'un certain succès après son passage chez DC où il a collaboré à des séries aussi populaires que Justice League, Manhunter et Firestorm. C'est aussi à lui que nous devons le fameux Suicide Squad appelé à de beaux jours dans les hebdomadaires et une adaptation bien moins heureuse sur grand écran, ainsi que la transformation du personnage de Barbara Gordon, fille du flic ami de Batman, en femme-ordinateur à tout faire Oracle, pour laquelle le fan du Chevalier Noir que je suis lui est infiniment redevable. Je pourrais également mentionner son travail sur X-Men et bien d'autres séries, mais la liste est longue comme le bras.
Fort du recrutement d'un pareil cador, l'éditeur Dark Horse, qui a repris à Marvel la licence SW, entend démarrer le nouveau millénaire en fanfare en faisant le lien entre le tout premier film de la "prélogie", Star Wars Épisode I : La Menace Fantôme sorti l'année précédente, et le suivant L'Attaque des Clones, tout en introduisant une pléthore de nouveaux personnages, y compris un nouveau héros, Quinlan Vos. Ce dernier est un chevalier jedi ayant fait une apparition comme figurant sur l'Épisode I (assis à une table en arrière-plan lorsque Sebulba agresse Jar-Jar Binks), ténébreux et tourmenté. Ostrander perpétue une longue tradition de jedi iconoclastes de l'Univers Étendu jusque-là cantonnée aux romans (Corran Horn) et aux jeux vidéo (Kyle Katarn).
Pour ce faire, le natif du Connecticut s'assure des services d'une dessinatrice relativement méconnue et appelée à un bel avenir, Jan Duursema. Cette dernière venait d'être remarquée pour son travail sur les quatre fascicules consacrés au grand méchant Dark Maul, où son trait rugueux, mature et réaliste a fait merveille. Dave McCaig, adepte du mauve et de l'orange, s'occuperait de la mise en couleurs.
L'album s'ouvre donc sur un homme entouré par les flammes. De par ses robes nous savons que c'est un chevalier jedi, mais pas lui. En effet, cet homme ne sait rien, il semble avoir complètement perdu la mémoire. Heureusement pour lui, il tend la main par réflexe et cela suffit à projeter au loin les assaillants qui en veulent à sa vie. C'est alors qu'apparait un individu au sourire carnassier, aux cornes de diable et à la verve bien trempée, qui se présente comme étant Vilmarh Grahrk, alias "Villie", chasseur de primes dévaronien de son état.
Villie explique à l'homme qu'il est un chevalier jedi, recherché mort ou vif par la totalité de la pègre de la planète Nar Shaada sur laquelle ils se trouvent. Cela n'avance guère l'homme, jusqu'à ce que deux figures patibulaires fassent irruption, armées de sabres lasers. L'homme en abat rapidement un et, au moment de se saisir de son arme à lame verte, plusieurs bribes de souvenirs lui reviennent. Plus serein, presque "illuminé" pour ainsi dire, l'homme décapite le deuxième agresseur avant de déclarer dans une page-case absolument badass : "Je sais qui je suis. Je m'appelle Quinlan Vos et je suis un chevalier jedi".
À sa grande surprise et celle de Villie, Quinlan Vos possède donc le pouvoir fort utile de "lire" les objets. Il lui suffit de les toucher pour visionner leur passé. C'est ainsi qu'il se remémore également un autre nom, ainsi qu'un visage, ceux d'une belle jeune Twi'lek bleue nommée Aayla, son apprentie padawan. Quinlan Vos en est certain, elle est la clé de l'énigme. Il doit la retrouver pour comprendre ce qui lui est arrivé. Un temps tenté de rafler la prime pour lui-même, Villie accepte de l'aider, alléché par la perspective de rouler la pègre nar shaadienne et de se faire payer double par l'ordre jedi.
Après s'être retrouvé sur une fausse piste en la personne de l'effrayant Bib Fortuna (homme de main de Jabba le Hutt dans Le Retour du Jedi et auteur de la célèbre réplique "De Wanna Wonga") le duo improbable parvient à s'échapper en volant le vaisseau d'un parrain, l'Inferno, gardé par le droïde NT, dont la logique acerbe et imparable préfigure quelque peu K2SO du film Star Wars : Rogue One. C'est NT qui leur apprend que Quinlan Vos est originaire de la double planète carcérale Kiffu-Kiffex, dont sa race d'humanoïdes tatoués sont les gardiens, et qu'il est le petit-neveu de la dirigeante, Shey Tinté. Peu commode, cette dernière reçoit néanmoins Quinlan et lui fait part de sa déception qu'il soit devenu jedi plutôt que gardien. Lorsqu'elle constate qu'elle ne parviendra pas à le convaincre de rester, Tinté lui révèle que les Twi'leks sont issus de la planète Ryloth et qu'il serait judicieux de commencer à y chercher Aayla.
L'intrigue se complique davantage une fois sur Ryloth, puisque la famille s'en mêle, à tous les étages : Villie descend son cousin Olmar, chasseur de primes lui aussi, tandis que Quinlan se retrouve confrontée à sa propre cousine, Asanté, qui avant de mourir lui révèle toute l'intrigue : Quinlan et Aayla enquêtaient sur le traffic d'une drogue nouvelle, le Glitteryll, mélange de ryll et de glitterstim, si puissante qu'elle fait perdre la mémoire. C'est donc ce qui est arrivé aux deux jedi avant qu'ils soient séparés : Quinlan Vos pour être exécuté et Aayla pour être rendue en esclavage par son propre oncle, Pol Secura.
Il est regrettable que les cartes soient abattues aussi rapidement, mais la séquence suivante est assez glaçante : Quinlan Vos, effrayant de rage débridée, confronte Pol Secura et n'hésite pas à le torturer brutalement sous les yeux de sa nièce amnésique. Celle-ci a alors le même réflexe que son ancien maître tantôt et les pousse avec la Force, mais tout ce qu'elle parvient à accomplir, c'est d'envoyer son oncle s'écraser dix étages plus bas. Rongée par la culpabilité, elle rejette son instructeur et s'enfuit.
Le récit s'accélère à partir de là : déprimé, Quinlan se rend sur Coruscant pour en finir avec celui que Pol Secura a dénoncé comme étant le trafiquant en chef, le sénateur Chom Frey Ka. Vos est sur le point d'exécuter le Twi'lek obèse lorsqu'apparaît… le maître jedi Mace Windu, Samuel L. Jackson en personne ! Le muddafukka le plus cool de l'Espace n'a alors pas son fameux sabre laser violet mais doit se contenter d'une bête lame bleue, ce qui ne l'empêche pas de prendre le dessus sur Quinlan et de le convaincre de renoncer à sa colère et de retourner dans les rangs de l'ordre, pour y réapprendre à se connaître et à maîtriser ses émotions.
Et… c'est tout ? Pas tout à fait. En guise d'épilogue, nous apprenons que c'est en réalité Dark Sidious lui-même qui a orchestré cette sordide affaire pour faire basculer Quinlan Vos du côté obscur de la Force et ainsi remplacer son apprenti Dark Maul récemment coupé en deux par Obi-Wan Kenobi. Le futur Empereur Palpatine n'est cependant pas trop déçu par son échec, car il sait détenir toutes les cartes en main…
Un peu bof, comme fin, non ? En tout cas, elle est incontestablement trop précipitée : Quinlan et Villie débarquent sur Coruscant, ils rencontrent Chom Frey Ka, Windu intervient, ils se battent, Sidious fait son caméo, tout cela en seulement cinq planches ??? Les contraintes éditoriales ont vraiment plombé la fin de cet arc narratif – c'est surtout le moment où Quinlan éteint son sabre et se soumet à l'ordre jedi qui me laisse sur ma faim. Décevant…
De manière générale, Mémoire Obscure n'est pas toujours bien rythmé, un problème qui s'avérera récurrent dans l'œuvre de John Ostrander, le George RR Martin de la BD américaine ! La première moitié est impeccable et intriguante, mais ça s'accélère beaucoup trop dès qu'on arrive sur Ryloth. Il aurait fallu deux albums pour bien déficeler l'enquête de Vos sur son passé.
Mais cela n'empêche que cet album est tout de même un très bon point de départ pour la série qui en France s'appellerait Star Wars : Jedi avant de devenir Clone Wars. Le scénario est basique car emprunté ailleurs, son traitement pas toujours bien rythmé, mais ce qui fait sa force ce sont ses personnages : ténébreux, à fleur de peau, Quinlan Vos est un excellent protagoniste principal, complexe mais attachant, autrement plus intéressant que les moines-soldats du film de 1999. Villie apporte quant à lui une touche d'humour bienvenue dans ce récit assez sombre, chacune de ses interventions étant un régal.
Niveau dessin, Jan Duursema impose d'entrée sa patte particulière : les combats sont encore plus kung-fu que dans l'Épisode I, les duellistes se retrouvant souvent complètement désarticulés ou en train de marcher sur les murs ; les trognes sont patibulaires au possible, les cases chargées de personnages en second plan.
Une bonne entrée en matière donc, un peu gâchée par une fin bâclée. Mais le duo Ostrander/Duursema montre déjà de belles promesses, qui allaient se concrétiser dès le tome suivant !