Israel du désir
Longtemps apanage des grandes écuries qu'étaient Buck Danny, Tanguy & Laverdure et Biggles avant de perdre de la vitesse en raison du décès ou du départ de ses cadors Charlier et Bergèse, la BD...
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le 1 févr. 2019
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Longtemps apanage des grandes écuries qu'étaient Buck Danny, Tanguy & Laverdure et Biggles avant de perdre de la vitesse en raison du décès ou du départ de ses cadors Charlier et Bergèse, la BD d'aviation a connu un véritable second souffle ces dernières années, notamment grâce à l'apport du jeune et génial Romain Hugault et de son compère scénariste Yann.
À travers de superbes trilogies telles que Le Grand-Duc ou Le Pilote à l'Edelweiss, le grand mérite de ce duo aura été d'apporter une touche moderne et chatoyante à un genre jusqu'alors très macho et old-school. Le cadre des deux guerres mondiales est le même, mais l'environnement est à l'avenant du XXIème siècle : beaucoup plus féminisé et, disons-le, sexualisé. Les femmes ont désormais leur mot à dire : lorsqu'elles ne combattent pas elles-mêmes, elles sont loin de jouer les potiches et si elles acceptent de partager un bon moment avec ces incorrigibles casanovas du ciel, elles n'en sont pas à se pâmer devant eux et entendent bien leur rendre des comptes lorsque leurs manières viriles dépassent les bornes.
Mezek, album unique paru en 2011, est totalement dans cette lignée, à ceci près que le dessin n'est pas assuré par le flamboyant Hugault mais par le vétéran de la ligne claire André Juillard. Le cadre est également un peu plus original et méconnu, puisqu'il s'agit de la création d'Israël en 1948. En ce lendemain de Seconde Guerre Mondiale qui a vu mourir des millions des siens dans les camps, le jeune état juif se retrouve bien isolé sur la scène internationale. Cette hostilité conjuguée de leurs voisins et des grandes puissances est bien montrée dès la première page, lorsque l'on voit les Egyptiens bombarder Tel-Aviv avec… des Blenheims et des Spitfires britanniques. Mieux encore, incroyable ironie de la grande Histoire qui est le point de départ cette petite histoire et donne son titre à l'album, la maigre chasse israélienne n'a à leur opposer… que des Messerschmitt Bf-109, appareil le plus célèbre de la défunte Luftwaffe nazie – plus précisément, un sous-modèle Tchécoslovaque, le Mezek.
Pour piloter ce chasseur redoutable mais capricieux, l'état hébreu n'a guère d'autre choix que de faire appel à des mercenaires étrangers, juifs ou non : Anglais, Américains, Sud-Africains… ou Suédois, comme notre héros, Bjorn. De prime abord, ce beau blond scandinave est la quintessence du pilote casse-cou tel qu'on pouvait le retrouver dans les séries plus haut-citées : téméraire, talentueux et coureur de jupons. Mais en vérité, Bjorn cache de bien sombres secrets, qu'il espère noyer lors de ses bains nocturnes dans la Méditerranée.
Comme je l'ai dit, cette déconstruction du mythe du pilote de chasse, le tout dans un contexte original et bien dépeint, est la marque de fabrique de Yann. Sous leurs airs de matamores, ses chevaliers du ciel abritent des âmes tourmentées, marquées par les horreurs de la guerre et les choix discutable que celle-ci les a conduit à faire. Les Têtes Brûlées sont loin ! Bjorn est d'ailleurs probablement le héros le plus abouti de la galerie du scénariste breton, tant son histoire est bien amenée, le mystère se désépaississant au fur et à mesure du récit, avec ses dernières illusions, à chaque fois que meurt un de ses camarades de combat.
Le passage de flambeau de Romain Hugault à André Juillard était un coup de poker mais aussi une idée de génie : d'influence américaine, le dessin du premier (sans parler de la mise en couleurs) est incandescent et agressif, depuis les lignes de ses avions jusqu'aux courbes de ses pin-ups, tandis que la ligne claire et ultra-délicate du second correspond beaucoup mieux à une histoire aussi tragique. Ce n'est pas pour autant que Mezek se transforme avec lui en une BD à l'ancienne : le propos reste moderne et sensible, ce que traduit parfaitement le pinceau de Juillard. Cela en dit long sur son talent qu'il soit capable de passer d'une série aussi asexuée que Blake & Mortimer à un album à forte teneur érotique comme Mezek, sans pour autant perdre son style bien à lui.
Ses batailles aériennes ne tiennent certes pas la comparaison avec le ballet incandescent de celles de son jeune confrère, mais là n'est pas le propos de l'album. Or, il ne fait guère de doutes qu'en dépit de son immense talent, Hugault n'aurait pas pu insuffler autant d'épaisseur et de vulnérabilité à ses personnages. Ainsi, mises en scène par Juillard, les scènes d'amour entre Bjorn et les très belles Tzipi et Una, avec les conflits qui en découlent, deviennent les points d'orgue émotionnels du récit, là où Hugault en aurait fait d'énièmes pages olé-olé pour remplir le quota.
L'histoire se développe de manière très organique grâce à ses personnages dans lesquels on s'investit, sans que les enjeux géopolitiques soient perdus de vue, ni comment ces derniers affectaient la vie de tout-un-chacun. Mezek est plein de petits détails, tels que l'apparition de Moshe Dayan pour une case, les multiples rivalités entre Juifs et Goys, Juifs étrangers et Israéliens, Juifs des Kibboutzs et des villes, Juifs palestiniens et européens, qui arrivent à rendre le récit encore plus réaliste et intéressant d'un point de vue historique.
C'est donc vraiment une histoire "à la Yann", avec ce que cela implique de très bon, mais aussi de très mauvais, et qui prive Mezek de sa note parfaite : les dialogues affligeants de métaphores vaseuses. Je ne vais pas les citer car malheureusement ils pullulent du début jusqu'à la fin.
Mezek n'en reste pas moins l'une des meilleures BD d'aviation de ces dernières années, que je recommanderais à tout le monde car il s'agit surtout d'une belle histoire humaine de rédemption, dans un cadre particulièrement passionnant et qui n'a, hélas pour ceux qui y vivent, guère perdu de son actualité.
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le 1 févr. 2019
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