Une bande dessinée de fantastique féministe et écologique, oui c'est possible!

Dernier tome en date de la série de recueils fantastiques dirigée par Mathieu Bablet, Midnight Tales quatrième édition tient ses promesses.
Cette fois la bande à Bablet nous donne à lire et à voir 4 récits en bande dessinée, une nouvelle, et un épilogue. La qualité est d'autant plus au rendez-vous que les scénarios ont indéniablement gagné en maturité et en complexité, au service de valeurs féministes et écologiques intelligemment amenées.
La première histoire : « Kiriarchie » fait référence au concept de « Kyriarchie » développé par la sociologue Elisabeth Schusslër Fiorenza. Concept qu’elle définit comme un système de domination et de soumission interconnecté dans le contexte du patriarcat (en gros). Tout un programme donc.
C'est le collectif «The Neb Studio » (déjà auteur de La Valise aux éditions Akileos) qui scénarise et dessine ce court récit en bande dessinée pour notre plus grand plaisir. Disons le, Kiriarchie  est une magnifique réussite autant scénaristique que graphique. Cette idée d'utiliser la thématique du train fantôme pour ré-encrer le propos au sein du paranormal propre à la série et de diriger le personnage principale à travers des wagons, comme en autant de tableaux offrant un visage du patriarcat différent, fonctionne à merveille! On sort de ce récit lessivé, et les idées bien remises en place ; surtout, et ça ne gâche rien, c'est une vraie claque visuelle ! De plus les trouvailles graphiques sont très bien pensées, et permettent aux dessinateurs d'échapper à la simple illustration d'un propos sans doute assez abscons pour le grand public, pour véritablement atteindre la parabole.

D'une manière générale, il semble que les récits abordent la féminité des personnages avec sans cesse d'avantage de justesse. Si l'objectif est de mettre en scène des personnages féminins dans une optique résolument féministe, Midnight Tales y parvient à travers la peinture de personnages qui ne sont pas juste des « Rambo en collants » façon Lara Croft. Bien au contraire, ce sont des femmes qui se battent, en tant qu'elles sont des femmes, et prises dans le cadre de la domination masculine. Elles ont peur pour leur fertilité (notamment dans Midnight Tales 3), mais plus encore que cela soit vue comme une faiblesse de femme. Elles affrontent les assauts des harceleurs, les brimades des hommes, assument d'avoir leurs règles sans en avoir honte. C'est cela la maturité féministe de Midnight Tales : le fait de mettre en avant des femmes qui ne cherchent pas à prouver qu'elles sont des hommes comme les autres, mais qui affirment leur compétence et leur légitimité dans la réalité de leur condition biologique et politique de femmes. Cela ne signifie pas qu'elles sont plus faibles que les hommes (qui en réalité ont leurs propres problématiques, mais atténuées par leur position privilégiée au sein du patriarcat, qui à un effet « normalisant » sur elles), mais quels ont des spécificités propres à prendre en compte, ce qui se fait naturellement dans un contexte entièrement féminin comme celui de leur ordre de sorcières. Ainsi l'exemple d'une Midnight girl reprochant à une autre d'être venu en mission alors qu'elle avait ses règles, et qu'il lui aurait été possible de le faire valoir pour être dispensé, surtout dans la mesure où ladite mission se trouvait être une chasse au Vampire, est édifiant. Nous sommes là, en plein dans la réalité féminine, sans tabous, et ce, au milieu d'une BD fantastique pour jeunes adultes. Sacré tour de force.

Je ne compte pas résumer ici tout le volume, je reviendrai donc juste brièvement sur la seconde histoire qui aborde le thème de l'écologie : Maymaygwashi.
C'est avec ce genre d'histoire que l'on comprend l'ambition intellectuelle de Midnight Tales qui est loin d'être un « bête » produit de divertissement pour ados. En effet, et c'est assez rare pour le noter, nous ne sommes pas emmené à la suite de héros manichéens qui agissent tout le temps « comme il faut », parce qu'ils (elles!) ont raison. Non, les héroïnes ont tord, elles se trompent, et doivent faire des choix souvent arbitraires face à leur méconnaissance de la vie, du monde, et aux faiblesses inhérentes à leur petite échelle individuelle.
En conséquence, que faire face à des monstres protecteurs d'un lac sacré qui enlèvent des habitants « innocents » pour les transformer à leur tour? Ceci, afin de les aider à repousser l'action destructrice des hommes sur l'environnement. Les midnights girls doivent-elles combattre ces monstres pour les punir ? Les empêcher de continuer à enlever les habitants ? Et par là même conduire leur environnement à l'anéantissement par la faute des humains et de leurs industries ? Que doivent-elles faire dans ces conditions ? Et bien peut-être rien tout simplement. Oui il s'agit de monstre, oui il s'agit de créatures relevant de leurs missions de midnight girls, mais peut-être que ce n'est pas à elles cette fois d'agir. Peut-être que ce n'est pas le genre de situation qui se règle avec des épées ensorcelées. Tout simplement. Peut-être que nos héroïnes vivent dans notre vrai monde, et qu'elles sont prises dans des réalités systémiques qui les dépassent: le patriarcat et le productivisme par exemple. Et qu'elles tâtonnent pour se positionner au sein de ces contraintes tout en essayant de remplir leurs devoirs de Midnight girls.

Enfin bref vous l'aurez compris, j'ai apprécié ce volet de ce qui est sans conteste la seconde grande série collective du label 619 au côté de Doggybags de Run. Vivement la suite.

Alex_rainbow
10
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le 14 nov. 2019

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