La chance, il a connu un Serial Killer
"My friend Dahmer" m'a attiré pour son sujet. Les serial killers en film c'est déjà fun, mais en BD c'était une première pour moi. Je me dis que le medium peut amener des choses qu'on ne peut faire en cinéma, tel que de multitudes digressions à la narration pour entrer plus en profondeur dans la tête du protagoniste. J'étais tout de même un peu sceptique avant d'ouvrir le livre, après l'avoir reçu par la poste. Je me suis dit que le graphisme n'avait pas l'air si chouette et que toutes ces louanges sur la couverture pouvaient être exagérées.
Au final j'ai passé un bon moment. C'est une bonne BD. Mais il y a des défauts.
Le graphisme est mieux que ce que je pensai au premier coup d'œil. Il y a de très belles compositions. Mais ce qu'il me manque, ce sont des pleins et des déliés. J'ai l'impression que Derf utilise des feutres à pointe dure ; un pinceau ou une plume aurait permis de créer un peu plus de volume. Le design des personnages et des décors reste tout de même intéressant. Le noir et blanc fonctionne assez bien. J'ai une préférence pour les pages dans l'obscurité, le jeu de lumière y est très bien traité.
Le découpage est assez bien pensé. La narration partant dans tous les sens, il est difficile de trouver le bon ton pour raconter ces diverses anecdotes. Derf y parvient : il arrive à placer ses ellipses au bon moment, et à étirer les passages les plus intéressants, le tout sans rien sacrifier du rythme.
C'est la narration qui m'a, au final, posé le plus de problème. En effet, on reste un peu sur sa faim. L'auteur agace. Il n'a de cesse de dire qu'il reste le plus objectif possible : le faire c'est bien, le dire c'est lourd. De même que toutes les 20 pages, l'auteur répète inlassablement ses théories (les parents n'étaient pas là) et ses conclusions (Dahmer ne sera plus jamais pareil). C'est bien d'indiquer cela une ou deux fois, du moins pour la conclusion, mais pas aussi souvent sinon ça barbe le lecteur. De même que la théorie de Derf est bien jolie, mais il ne la défend pas vraiment, c'est donc d'autant plus dommage de nous rabâcher les oreilles avec ça. Avec toutes les ellipses que le livre comporte on ne peut que se douter qu'il manque énormément de faits à l'auteur pour compléter son portrait. C'est ainsi que le récit n'arrive jamais à prendre, on a beau avoir les témoignages des uns et des autres, il manquera toujours un énorme fragment, et cette absence, Derf n'aura pas su en jouer. Sans doute trop possédé par l'idée de fournir un documentaire et non une fiction, il n'osera pas prendre les devants, réinventer l'histoire. Pourtant, au point où on en est, cela aurait été certainement plus profitable pour la narration car Derf aurait pu combler tous les trous (par exemple, d'où vient sa fascination pour les morts? je ne dis pas que Derf aurait dû inventer, il aurait pu simplement lire des revues psychologique sur le sujet, mélanger tout cela), entrer bien plus dans le sujet et mieux défendre sa thèse. Cela n'aurait rien gâché de l'aspect autobiographique, une petite interview aurait permis de déclencher le buzz. Peut-être pas aussi fort, mais quand même.
Donc, c'est un récit répétitif et finalement un peu creux que Derf nous propose. Il n'empêche que le livre contient de très bonnes scènes, certaines touchantes, d'autres glauques à souhait. Les personnages, bien que très peu développés, font rire, amusent, ou déroutent par leur comportement hors norme. Le personnage de Dahmer surtout profite de ces inconnues pour nous terrifier davantage : ce que l'on ne connaît pas fait peur.
Bref, "My friend Dahmer" est une BD passionnante à lire mais qui laisse sur sa faim à cause d'une narration trop superficielle ce qui est dommage vu toutes les recherches effectuées ; disons que l'auteur aurait dû se détacher de l'autobiographie et laisser un peu plus de part à son imagination créatrice, détourner les évènements, les personnages afin de renforcer son propos.