Monsieur Apothéoz
6.1
Monsieur Apothéoz

BD franco-belge de Julien Frey et Dawid (2023)

Ce qui saute tout de suite aux yeux dans cet album, c’est indubitablement le graphisme, qui réunit tout ce que j’aime. Un trait semi-réaliste faussement imparfait, tout en ondulations et pourtant très maîtrisé, assorti d’une mise en couleurs aquarellée sublime, centrée autour d’une tonalité marron-orange avec quelques sections entre bleu gris et bleu de minuit (normal, il y a pas mal de scènes nocturnes). Dawid réussit à créer des ambiances vraiment splendides (notamment pour les paysages et les décors villageois ou urbains du livre) qu’on se surprend à mater pendant de longs instants. Cela n’est pas si étonnant car cet artiste, qui semble avoir gardé toute son âme d’enfant, a été le coloriste de plusieurs albums jeunesse, celui-ci étant son premier roman graphique.

Quant à l’histoire, on a plutôt affaire à une fable tragi-comique qui pour être appréciée, devra être lue sans rechercher une quelconque plausibilité des faits. Le thème, c’est la poisse, la vraie poisse de poissard poussée à l’extrême, la poisse comme un trou noir qui aspire tout ce qui transpire la vie, la poisse toutânkhamonesque transmise sur plusieurs générations. Le jeune Théo, représentant en chef de la dernière génération des Apothéoz, une famille faisant de sa scoumoune un feu d’artifice permanent, se résout avec une certaine résignation à jouer le rôle de chat noir, hésitant ainsi à déclarer sa flamme à celle qu’il aime. Ce qui nous interroge dans cette fable, c’est cette éternelle question : peut-on échapper à son destin ?

On oscille ici entre la comédie noire et la comédie romantique, qu’un drôle de twist très brutal auquel on a un peu de mal à croire, annihile le charme que pouvait recéler cette histoire jusque là. Même si comme je l’ai dit plus haut, on sait qu’il ne faut pas être à cheval sur le réalisme. La farce n’exclut pas la cohérence.

Globalement, on a cette fâcheuse impression d’être à la fois dans le trop et le pas assez, avec des personnages qui manquent de « corps », un curieux mélange des genres, une narration un peu trop élastique et une tension mal dosée, concourant pour finir à susciter l’indifférence du lecteur vis-à-vis du sort des protagonistes. Heureusement, la fin, qui réintègre une certaine dimension poétique, remet un peu l’ensemble à niveau. En conclusion, on ressort un poil frustré de cette lecture, qui avait pourtant du potentiel mais ne se distingue que par son superbe graphisme.

LaurentProudhon
7
Écrit par

Créée

le 1 juin 2023

Critique lue 26 fois

Critique lue 26 fois

D'autres avis sur Monsieur Apothéoz

Monsieur Apothéoz
PapierBulles
8

Fait le job, détente assurée

« Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » …Dans la famille Apothéoz, l’ambition conduit toujours à une mort d’exception. Convaincu que son nom porte malheur, Théo a...

le 4 avr. 2023

Monsieur Apothéoz
Specliseur
7

Une BD sur le sens de l’existence et ses imprévus

C’est toujours un plaisir de lire une bande dessinée avec un scénariste et un dessinateur car ce couple créatif fait que les mots de l’un alimente les dessins de l’autre. L’alchimie entre Frey et...

le 12 févr. 2023

Du même critique

Les Pizzlys
LaurentProudhon
9

Dans la peau de l'ours

Après avoir obtenu la récompense suprême à Angoulême pour son exaltante « Saga de Grimr », Jérémie Moreau avait-il encore quelque chose à prouver ? A 35 ans, celui-ci fait désormais partie des...

le 23 sept. 2022

13 j'aime

Le Dieu vagabond
LaurentProudhon
9

Le vin divin du devin

Avec cette nouvelle publication des éditions Sarbacane, préparez-vous à en prendre plein les mirettes ! De très belle facture avec dos toilé et vernis sélectif (ce qui n’est pas surprenant quand on...

le 26 déc. 2019

8 j'aime

Jours de sable
LaurentProudhon
9

Apocalypse en Oklahoma

Cet album très attendu d’Aimée de Jongh est un véritable choc visuel et sensoriel, ce qui en fait assurément un événement pour cette année 2021. C’est à partir d’un fait historique un peu oublié, le...

le 19 juil. 2021

7 j'aime