D’un côté, il y a Monsieur Edouard. Noble, jeune, riche et beau, ce dandy a tous les atouts en mains pour briller dans la bonne société de l’Angleterre victorienne. Mais ça ne l’intéresse pas. Il prend surtout un malin plaisir à faire tout ce qu’il faut pour choquer ses semblables par ses frasques et sa vie de débauche. De l’autre côté, il y a Lisbeth, une domestique provinciale plutôt discrète et pas vraiment gâtée par la nature, qui vient d’entrer au service d’Édouard, après la mort de son ancien maître. A priori, ces deux-là ne pas faits pour se rencontrer, et encore moins pour devenir amis. Et pourtant, une étrange complicité va naître entre ces deux êtres que tout oppose. Un soir, alors que tout Londres assiste aux fêtes de couronnement de la jeune reine Victoria, Lisbeth se retrouve quasiment seule dans la maison lorsqu’Edouard rentre en pleine nuit, ivre et roué de coups. Une fois de plus, il a été traîner dans les quartiers mal famés de l’East End londonien et a failli y laisser sa peau. Comme aucun médecin n’est disponible, c’est Lisbeth qui le soigne, le déshabille et le met au lit. Le lendemain, Edouard la convoque et lui demande si sa pudeur féminine en a pris un coup. Du tac au tac, la jeune domestique lui répond: « J’ai élevé mes frères, monsieur, je sais comment un homme est fait ». Interpellé par cette nouvelle servante, qui semble bien moins docile et impressionnable qu’il ne le croyait, Edouard va alors prendre l’habitude de raconter ses débauches les plus inimaginables à Lisbeth. Mais même en multipliant les piques et en allant de plus en plus loin dans les détails sordides, il ne parvient jamais à choquer cette jeune fille au regard de madone, qui semble lire en lui comme dans un livre ouvert. Et elle ne cède pas non plus à ses avances. Alors que toutes les autres femmes, quel que soit leur âge et leur milieu social, ne sont pour lui que des proies faciles à mettre dans son lit, Edouard va faire de Lisbeth sa confidente, en lui demandant même de venir le récupérer dans les lupanars lorsqu’il a vraiment trop bu. « La vertu servant le vice, voilà une bien étrange allégorie », souligne son ami Archibald. Evidemment, cette relation contre-nature ne va pas tarder à susciter des réactions outrées. En particulier de la part des autres domestiques de la maisonnée, qui ne comprennent pas comment cette petite soubrette même pas jolie bénéficie d’un tel traitement de faveur de la part du maître. Jusqu’où cette relation malsaine va-t-elle mener Edouard et Lisbeth?
Situé à mi-chemin entre « Downton Abbey » et les « Liaisons dangereuses », le roman graphique « Monsieur désire? » est indubitablement l’une des BD les plus réussies de la rentrée. Avec ce récit, le scénariste Hubert, qui avait déjà révélé son ton très particulier avec des séries telles que « Miss Pas Touche » et « Beauté », fait non seulement preuve d’un réel talent de dialoguiste, mais surtout, il met magnifiquement en scène les rapports de classes entre maîtres et servants dans l’Angleterre du XIXème siècle. Avec Edouard et Lisbeth, il crée également deux personnages fascinants, le premier semblant attiré par l’abîme comme un papillon de nuit par la lumière, tandis que la jeune domestique paraît au contraire étonnamment forte et inébranlable. Pour ne rien gâcher, ce récit envoûtant est illustré de maîtresse façon par la dessinatrice Virginie Augustin, dont les traits pleins de finesse et de grâce s’adaptent à merveille à cet environnement très « british ». Même lorsqu’elle dessine les scènes de débauche du jeune Lord, elle le fait avec une classe toute britannique. Ce qui n’empêche pas cette BD à la couverture très classique d’être un ouvrage à ne pas mettre entre toutes les mains… A noter que l’album contient également quelques pages d’explications sur le contexte social et historique de l’Angleterre victorienne, marqué avant tout par l’hypocrisie et l’injustice sociale. Deux ingrédients qui ont de quoi inspirer un bon scénariste!
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