"Mozart à Paris" : quel beau programme ! Malgré son sujet pour lequel j'ai une affection sans bornes, j'ai longuement hésité avant de me procurer cette BD. À chaque fois que je la feuilletais en librairie, j'étais rebuté par le style graphique de Frantz Duchazeau. Pourtant l'auteur (que je ne connaissais pas du tout jusqu'à présent) sait dessiner : il nous gratifie çà et là de très belles cases, il excelle notamment dans la représentation des décors, des bâtiments, de l'architecture de ce Paris d'avant Haussmann, quasi médiéval. En revanche, que dire des personnages... Certes, Mozart n'était pas le plus bel homme de son temps, mais quelle idée de le représenter sous la forme d'un être minuscule, un gnome ridicule et difforme, d'une laideur repoussante ! Je pense comprendre l'intention de l'auteur : montrer que lors de son séjour à Paris, Mozart était encore considéré comme un enfant, un être inachevé, qui ne deviendra véritablement adulte qu'à son départ pour Vienne à l'âge de vingt-cinq ans. Mais impossible pour moi d'adhérer à ce parti pris, d'autant que les autres personnages ne valent guère mieux dans leur esthétique, quoi qu'ils apparaissent plus humains. Les spécialistes me corrigeront peut-être, mais j'ai l'impression que pour avoir le privilège d'être estampillé "roman graphique", mieux vaut ne pas trop se soucier du dessin, un trait faussement négligé doit paraître cool et branché... Bref, le même genre de snobisme qu'on retrouve en littérature où seul compte le style et non l'histoire.
Pour ce qui est de l'histoire, justement : je ne suis pas le dernier à pester contre le format traditionnel de la BD qui, souvent, empêche un développement satisfaisant de l'intrigue ou des personnages, mais à l'inverse, j'ai trouvé que celle-ci, avec près de cent pages, aurait pu être raccourcie. Sur la fin, l'album déborde de son sujet puisque notre héros quitte Paris pour de bon, et les étapes à Strasbourg, Mannheim, Munich, puis le retour au bercail précédant le départ définitif pour Vienne, prennent l'allure d'un interminable épilogue. Il y a néanmoins dans ce scénario des choses intéressantes, ne serait-ce que parce que Frantz Duchazeau a eu la bonne idée de se focaliser sur une période charnière dans la vie passionnante de Mozart, un moment de crise qui a eu une importance capitale dans son parcours créatif. La France avait réservé un triomphe à l'enfant prodige ; une décennie plus tard, elle fut terriblement ingrate avec le jeune homme de vingt-deux ans. La famille Mozart n'aimait pas Paris, qui le lui rendit bien. La BD rend parfaitement compte des difficultés rencontrées par le compositeur durant les six mois de son séjour parisien, le dédain avec lequel il a été traité, l'état d'esprit détestable de l'intelligentsia : le baron Grimm le dit sans ambages, ce qui compte pour percer à Paris, c'est d'avoir des relations, le talent est accessoire. Pourtant, malgré l'incompréhension qu'il a trouvée en France, Mozart ne s'est jamais découragé, il est demeuré égal à lui-même : indocile, droit dans ses bottes, refusant toute compromission, sûr de son génie sans pour autant tomber dans la vanité. Si le lecteur connaissant mal la personnalité de Mozart se dit "ce jeune homme était sacrément orgueilleux, mais il avait toutes les raisons de l'être", alors c'est réussi.
Certaines choses m'ont fait tiquer, m'ont gêné ou déplu, et je n'avais pas l'intention d'écrire une critique sur cette BD que je croyais vite oublier... Mais il se trouve que je continue d'y songer quelques jours après et, même si c'est pour me dire "ça, je l'aurais traité d'une autre manière", c'est toujours mieux qu'une lecture qui laisse indifférent. Je pense que plus globalement, ça m'aura fait du bien de relire un livre sur Mozart : mine de rien, le bougre m'avait manqué.